Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 2.djvu/862

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du tsar, comme M. de Léontieff, sont devenus les auxiliaires du Négus.

Ainsi apparaît, une fois de plus, la conformité frappante des besoins de la politique russe et de la nôtre : le maintien de l’indépendance éthiopienne importe aux deux gouvernemens. Enfin, il n’est pas besoin de démontrer que l’Allemagne, depuis qu’elle est devenue une grande puissance commerciale et coloniale, est, autant que la Russie et la France, intéressée à l’indépendance de l’Ethiopie, à la neutralité du Nil et à la liberté de la Mer-Rouge. En sorte que la politique qui a réussi en Extrême-Orient, lors de la guerre sino-japonaise, et dont l’abandon a provoqué les catastrophes récentes, pourrait avec avantage être appliquée dans les affaires de l’Ethiopie.

« L’Ethiopie ne tend la main qu’à Dieu, » c’est la fière devise que portent en exergue les nouvelles monnaies d’or de l’empereur Ménélik. Et de fait, isolé pendant des siècles au milieu de l’Islam, le peuple abyssin ne pouvait attendre que de Dieu et de lui-même le secours libérateur. Mais le moyen âge, pour l’Ethiopie, comme jadis pour les « Francs, » est fini : puisse-t-elle, au moment où elle se trouve mêlée à la vie politique générale, garder, de ce passé qui s’en va, la foi qui fait vivre et l’énergie qui affranchit ! Mais elle ne saurait plus, sans péril, se complaire encore dans le morcellement et dans l’isolement féodal. Entourée par des colonies européennes et par des tribus musulmanes, il ne lui est plus loisible de ne pas adopter, de la civilisation occidentale, ce qui n’est pas incompatible avec son génie national. Elle entre dans une période de centralisation administrative et, si l’on peut dire, de relations extérieures, qui l’amèneront tôt ou tard, pour garder son indépendance entière, à renoncer à son particularisme politique et peut-être même religieux.

Il est certain qu’en Ethiopie, la défiance de l’étranger est très grande et d’ailleurs légitime ; mais les hommes sages qui dirigent les destinées de l’empire savent que, si des Européens ont fait saigner son liane, si d’autres peut-être le menacent encore, il doit aussi à quelques-uns de très utiles secours, des conseils éclairés et désintéressés. Ménélik, le ras Makonnen et quelques personnages distingués de l’entourage du Négus, comprennent, comme l’ont compris naguère les Japonais, que les nations européennes disposent d’outils, de machines, de procédés,