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d’elle le grand courant de la civilisation chrétienne, elle s’endormit dans son hérésie, qui, insensiblement, dégénéra en une religion diktat, en un culte surtout national, où les principes de vie et d’action allaient peu à peu s’éteignant dans le formalisme oriental. On a vu comment, au temps de l’apostolat conquérant de la Compagnie de Jésus, la jonction s’opéra, pour un instant, entre l’Abyssinie et l’Occident catholique et comment, de nouveau, les vieilles coutumes et les rites traditionnels l’emportèrent sur les nouveautés étrangères trop hâtivement introduites. Il faut franchir les temps et arriver jusqu’au milieu de notre siècle pour voir de nouveau les chrétientés européennes reprendre le contact avec l’église d’Ethiopie. Nous ne saurions même résumer ici ce chapitre de l’histoire de l’apostolat catholique où brillent les noms de Mgr de Jacobis et de Mgr Thaurin. Malgré les efforts des missionnaires et leurs succès partiels, et bien que la liberté des cultes ait été proclamée par l’empereur Ménélik, le monophysisme copie reste la religion du souverain et de la majorité des habitans ; mais, bien plus qu’à des formules doctrinales qu’il ne comprend guère, le peuple demeure attaché aux formes traditionnelles du culte national.

L’orthodoxie russe, héritière de l’église byzantine, et émancipatrice des chrétientés grecques de l’Orient, semble, par ses rites et son organisation, voisine de l’Eglise éthiopienne. Au premier abord, il devait paraître tentant de se servir d’affinités religieuses réelles pour resserrer, entre l’empire des tsars et celui des négus, les liens d’une amitié féconde et pour attirer peu à peu l’Ethiopie dans le cycle politique de la Russie. Des missions religieuses moscovites furent envoyées vers les hauts plateaux ; mais le succès ne semble pas avoir répondu à leurs efforts. L’empereur Ménélik et ses sujets, schismatiques malgré eux, hérétiques sans le savoir, ne nourrissent aucune passion hostile aux autres confessions chrétiennes ; au contraire, ils sont fiers de se sentir membres de la grande famille religieuse descendue du Golgotha et, s’ils vénèrent le patriarche copte, héritier de ceux d’Alexandrie, ils respectent aussi les chefs des autres églises apostoliques. Mais, tandis que le Pape » leur apparaît, au-dessus des querelles et des ambitions nationales, comme la plus haute incarnation de l’autorité religieuse, ils s’inquiètent de voir briller, dans les mains du chef de l’église orthodoxe, le globe et l’épée du tsar de toutes les Russies. Si, un jour, le Négus