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sur le monde que lui avait fermée, voilà tant de siècles, l’invasion musulmane.

Nous avons perdu l’occasion de souder en un seul bloc notre domaine africain ; mais il nous reste l’espoir d’en utiliser les fragmens épars. Le « Protectorat français de la côte des Somalis » est l’un de ces fragmens. Il nous est surtout précieux à cause de son port, Djibouti, qui est le débouché maritime naturel de l’Ethiopie et du Harrar et qui nous ouvre un chemin pour pénétrer sur les hauts plateaux.

Djibouti n’était, il y a quelques années, qu’une bourgade arabe ; aujourd’hui, plus de 250 maisons de pierre s’y élèvent et 1 500 Européens y séjournent habituellement. Cette fortune rapide, Djibouti la doit à son climat, à ses eaux, et surtout à son port, à sa rade profonde, d’accès facile, protégée par plusieurs îles contre la violence des vents du large. L’anglaise Aden, si prospère, si commerçante, ne jouit pas, à beaucoup près, d’une situation aussi favorisée que notre Djibouti ; l’une et l’autre s’échelonnent sur la grande route des Indes et de l’Extrême-Orient, mais tandis que l’une, isolée parmi des rochers sur une côte torride, n’a derrière elle que l’immensité stérile du désert, l’autre a, comme « arrière-pays, » l’Ethiopie, fertile, bien arrosée, véritable jardin de l’Afrique. Que, par-dessus cette zone de steppes infertiles, qui isole du reste du monde les hauts plateaux abyssins, un pont, soit jeté, l’essor de Djibouti sera assuré. Le chemin de fer actuellement en construction sera, si l’on ose dire, ce pont.

Des routes de caravanes qui traversent le désert, celles qui aboutissent à Zeila et à Djibouti sont les plus courtes et les plus fréquentées ; . presque parallèles entres elles, elles se confondent même dans une partie de leur parcours ; la première, un-peu plus courte, mais traversant un désert très dangereux, est la voie traditionnelle des caravanes qui descendent du Harrar : conduits par une habitude séculaire, les chameliers continuent de suivre la piste que, de temps immémorial, trace, à travers la solitude, le large pied de leurs bêtes ; aussi, malgré les avantages de notre port, à peine avions-nous pu y attirer quelques trafiquans : mais, dès l’ouverture d’un chemin de fer, les conditions du trafic changeront, et ont déjà changé, du tout au tout. Il fallait vingt-cinq jours d’un voyage pénible et périlleux pour aller de Djibouti à Harrar ; bientôt, ou moins de vingt-cinq heures, voyageurs et