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un fait significatif sur lequel s’appuie M. Brandes : cette représentation du Richard II de Shakspeare, donnée au Globe, immédiatement avant la prise d’armes, sans nul doute avec la connivence de l’auteur. On y avait rétabli la mémorable scène de la déposition, supprimée à l’impression par la censure royale, et ce passage admirable fut souligné par les applaudissemens enthousiastes des conjurés qui remplissaient la salle. Si le fait est vrai, peut-on admettre qu’il ait été fortuit ?

Mais, lorsqu’on compare avec soin la personnalité historique de Southampton au destinataire des Sonnets, des différences apparaissent et même des incompatibilités. Le premier n’a ni les grâces fascinantes ni les vices, l’indolence, la molle et oublieuse nature, la douce traîtrise du second. Ceux que Southampton aimait, il les a bravement, fidèlement, constamment aimés. Des agrémens de sa personne, nul n’a jamais parlé. Shakspeare serait-il donc le seul à apercevoir cette beauté merveilleuse, exceptionnelle, extraordinaire que célèbrent les Sonnets ? Ce serait d’autant plus singulier que Shakspeare fait de nombreuses allusions à d’autres poètes, ses contemporains et ses rivaux, qui avaient chanté, comme lui et plus haut que lui, les perfections physiques du même objet. Nous ne connaissons à Southampton qu’un seul amour, cet amour simple, loyal, obstiné qu’il voua à Elisabeth Vernon et dont rien ne nous fait croire qu’elle fût indigne. Personne ne songe à l’identifier avec la Dark lady des derniers sonnets. C’est pourquoi les commentateurs qui s’attachent à la théorie southamptonienne sont obligés de chercher une autre héroïne à ces sonnets. On propose Pénélope Devereux, la sœur d’Essex, l’idéale maîtresse de Philip Sidney dans les sonnets d’Astrophel à Stella. Le caractère de cette dame, qui vivait alternativement avec son mari, lord Rich, et avec son amant, lord Mountjoy, et continua ainsi jusqu’au jour où le premier la vendit au second, ne serait pas en désaccord avec l’esprit et les incidens de la double intrigue entrevue dans les Sonnets. Encore faudrait-il quelques faits matériels pour étayer ce roman. Rien ne prouve que Shakspeare ait essayé d’être un des nombreux caprices de lady Rich et tout démontre que Southampton n’a jamais songé à lui faire la cour. D’ailleurs, elle était jolie : on vantait ses yeux noirs, ses cheveux et son teint de blonde Tout était brun chez la Dark lady : les cheveux et la peau comme les yeux. Shakspeare nous donne à entendre, dans des termes d’un