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peut-être que M. Sidney Lee, si facilement offusqué des invraisemblances offertes par les hypothèses d’autrui, en soulève à son tour de plus grandes.

Pour en finir avec cette maudite dédicace qui a nui aux recherches shakspeariennes bien plus qu’elle ne les a servies, je rappellerai une suggestion de Philarète Chasles qui fit l’objet d’une lettre adressée, en 1862, à l’Athenæum. Chasles soutenait que le mystérieux W. H. ne s’identifie pas avec le begetter, mais que c’est lui, au contraire, qui souhaite au begetter bonheur et immortalité. Je fais grâce aux lecteurs des moyens, beaucoup plus ingénieux que solides, à l’aide desquels il escamotait le « well wishing adventurer in setting forth, » qui est le seul sujet, grammaticalement possible, de la phrase. et pourquoi faire tant de violence au sens et au bon sens ? Pour arriver à dédoubler l’énigme, pour nous donner deux inconnues à dégager au lieu d’une seule. Mr Tyrwhitt poussa un Hosanna lorsque parut la lettre de Philarète Chasles à l’Athenæum et s’écria qu’un Français avait seul su lire la dédicace de Thorpe. Mais les autres Shakspeariens n’ont pas suivi et je crains bien que notre pays ne doive faire son deuil de cette gloire.


II

Hâtons-nous d’oublier ces deux agaçantes initiales qui ont hypnotisé les érudits du XIXe siècle. Que valent, prises en elles-mêmes et dans leurs rapports avec les Sonnets, la théorie des Southamptoniens et celle des Pembrokistes ?

Henry Wriothesley était né en 1573. Il était le troisième comte de Southampton. Son grand-père, favori de Henry VIII, avait fait la fortune de la famille ; son père, en s’attachant à la cause de Marie Stuart, avait failli la détruire. Quant à lui, il vint à Londres en 1590 après avoir passé par Oxford et Cambridge, et se fit inscrire à Gray’s Inn. Il réussit à la cour de façon à balancer la faveur des vieux courtisans, et l’on songeait à l’opposer à Essex. L’amour déjoua ces ambitions et ces espérances qui s’agitaient en lui et autour de lui. Passionnément épris de mistress Elisabeth Vernon, demoiselle d’honneur de la reine, il tomba en disgrâce, comme tant d’autres, le jour où il osa solliciter l’autorisation de se marier. Il épousa quand même celle qu’il aimait et devenu par cette union le cousin d’Essex, demeura l’ami le