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sonnet CXLIV qui résume tous les autres et qui établit la plus claire des corrélations entre les deux séries formées par ces petits poèmes. En 1609, Thomas Thorpe, autre pirate à l’affût des œuvres échappées à l’indolence des écrivains, donnait la première édition des 154 sonnets. Cet in-4o, dont un fac-similé, admirablement exact, a été imprimé en 1862, portait la dédicace que voici :

TO. THE. ONLIE. MEGETTER. OF
THESE. INSVING. SONNETS.
Mr W. H. ALL. HAPPINESSE.
AND. THAT. ETERNITIE
PROMISED.
BY.
OUR. EVERLIVING. POET.
WISHETH
THE. WELL-WISHING.
ADVENTURER. IN.
SETTING.
FORTH.
T. T.

Cette dédicace, si gauchement écrite, qui devait, au XIXe siècle, servir de texte à des discussions sans cesse renaissantes et troubler la cervelle de tant d’honnêtes érudits, dut passer inaperçue des lecteurs de 1609, soit parce qu’elle n’avait pour eux aucun mystère, soit, plutôt, parce que ce mystère ne valait pas la peine d’être pénétré. En 1641, les sonnets furent réimprimés. Le second éditeur avait groupé les sonnets de façon à en former des poèmes différens. On devine qu’il voulait protéger Shakspeare contre certaines objections qui, déjà, s’élevaient. En effet, cette date de 1641 est significative. Une vague puritaine avait passé sur la délicate floraison poétique de la Renaissance et l’avait recouverte. Le sens primitif des sonnets avait déjà, cessé d’être compris.

Ensuite une sorte d’oubli couvre, pendant un siècle, le nom et l’œuvre de Shakspeare. Lorsque le dramaturge reparaît, après cette longue éclipse, il ramène avec lui à la lumière le lyrique de Vénus et Adonis, de Lucrèce et des Sonnets, mais il y a dans ces sonnets un élément suspect, des vers d’amour adressés à un