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qui avait déplacé le chômage obligatoire. Dans la ville, des libelles, des rumeurs circulaient, annonçant le retour aux vieux usages, l’abolition du nouveau système des poids et mesures, l’abolition du calendrier républicain et des fêtes décadaires, et le peuple s’imaginait qu’en même temps tomberaient les droits d’octroi, taxe odieuse, que les assemblées avaient d’abord supprimée, puis rétablie et reprise à leur compte. Parfois le peuple suspendait d’autorité l’exécution des lois. Quelques désordres matériels éclatèrent ; dans la rue et le cloître Saint-Benoît, la foule ameutée arracha aux mains de la force publique un émigré en rupture de ban ; un officier de paix fut à peu près assommé et la police bousculée.

Les feuilles officieuses avaient beau déclarer qu’il n’y aurait point de réaction ; elle apparaissait imminente à beaucoup d’hommes qui s’étaient ralliés d’abord à l’entreprise consulaire, aux amis de la veille comme aux résignés du lendemain. C’est que, derrière les manifestans de Paris et les tapageurs de théâtre, ils apercevaient de plus dangereux ennemis : les émigrés rentrés, prêts à sortir de leurs cachettes, les prêtres politiques ; plus loin encore, l’insurrection de l’Ouest toujours sur pied, la chouannerie devenant « une contagion »[1], les ligueurs de la Gironde et de la Charente, les bandes provençales, toute la contre-révolution armée et furibonde, qui n’avait jamais renoncé à tenir campagne et pouvait s’enhardir. Le 27 brumaire, l’organe jacobin par excellence, l’ex-Journal des Hommes libres, élevait la voix pour dénoncer les « élémens d’une réaction assassine, » et pendant plusieurs jours il signalait, à tort ou à droit, des sévices contre les républicains ; ses colonnes se remplissaient d’épouvantables faits divers. Les journaux même les plus hostiles au jacobinisme craignaient qu’on ne rendît la main « aux Jacobins de la réaction. » Ils disaient tristement : « dans les rues, dans les carrefours, sur les places publiques, même sur les théâtres, les mandataires du peuple sont traînés dans la boue. » Ces inquiétudes de la presse se doublèrent d’une émotion parlementaire, dans ces commissions qui maintenaient en face des Consuls une réduction de législature. Le 26, à la commission des Cinq-Cents, le compte rendu de la séance porte : « Plusieurs membres de la commission témoignent leur

  1. Paroles de Bonaparte à Le Couteulx. Lescure, Journées révolutionnaires, II, 222.