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c’était celui des rois et des politiques qui naguère avaient fait ou refait la France. Se dégageant des partis, laissant à sa droite et à sa gauche les exclusifs de tout genre, il irait droit au peuple, à la masse, aux millions de Français qui avaient des besoins plus que des opinions, qui aspiraient simplement à la paix intérieure, à la paix religieuse, à la paix au dehors ; il gagnerait leur fidélité en leur assurant ces biens, donnerait pour base à son gouvernement la satisfaction nationale, et bâtirait sur ce tuf. Dans la masse conquise et ralliée, il ferait s’absorber et se fondre les hommes très nombreux qui s’étaient jetés dans les discordes civiles par souffrance ou colère, par exaltation momentanée plutôt que par principes préconçus ; il prendrait ainsi aux partis leur substance, leur force réelle, et n’aurait plus affaire qu’à des chefs sans troupes ou à des perturbateurs isolés. Se retournant alors contre ceux-là, il frapperait impitoyablement, frapperait encore, et réduirait à néant ce résidu des factions. Aux hommes utilisables de tous les partis, il commanderait l’oubli ; décrétant l’abolition du passé, il ordonnerait aux Français de se pardonner et leur désapprendrait la haine ; sur dix ans de crimes et d’horreurs, sur les injures réciproques, il passerait largement l’éponge ; c’est ce que Paris appellerait, dans le langage mythologique à la mode : « faire boire à la France l’eau du Léthé ! » Appelant à lui des points les plus extrêmes, il offrirait comme point de réunion un gouvernement fort et juste, assez ouvert, assez glorieux pour que tous les Français de bonne volonté puissent se réconcilier et se trouver à l’aise dans l’ampleur magnifique du régime.

Il écrivait au député Beyts, l’un des opposans de Saint-Cloud : « Aucun homme de bon sens ne peut penser que la paix, que l’Europe réclame encore, puisse être le résultat des factions et de la désorganisation qui en est la suite. Ralliez-vous tous à la masse du peuple. Le simple titre de citoyen français vaut bien sans doute celui de royaliste, de Clichien, de Jacobin, de Feuillant, et ces mille et une dénominations qu’enfante l’esprit de faction, et qui, depuis dix ans, tendent à précipiter la nation dans un abîme d’où il est temps enfin qu’elle soit tirée pour toujours. C’est à ce but que tendront tous mes efforts. C’est là uniquement qu’est désormais l’estime des hommes pensans, la considération du peuple et la gloire[1]. »

  1. Correspondance de Napoléon, t. VI, 4398.