Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 2.djvu/744

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’employer[1]. » Le 1er frimaire, la radiation de Jourdan fut annoncée au Moniteur. Bonaparte répondit à sa soumission par une lettre pleine de sentiment, où il exprimait le désir de « voir constamment le vainqueur de Fleurus sur le chemin qui conduit à l’organisation, à la véritable liberté et au bonheur[2]. »

D’autres radiations furent annoncées à la suite de démarches individuelles ou collectives. Chaque jour, les journaux annonçaient l’adhésion de républicains extrêmes, de députés exclus ; les unes étaient dictées par la peur ou l’intérêt, les autres par la réflexion, par le désir sincère, quoiqu’un peu sceptique et lassé, de se prêter à l’expérience d’une république nouvelle. Parmi les députés portés sur la liste, un seul, Dubreuil, osa protester dans un écrit public et dénoncer l’approche du despotisme : « Puisses-tu, disait-il en prenant à partie Bonaparte, être la dernière idole des Français ; » sa voix ne trouva aucun écho. Devant cet affaissement de l’opposition jacobine, les Consuls laissèrent dormir les rigueurs annoncées, sans les révoquer encore ; ils s’occupaient moins à frapper qu’à ramener les républicains dissidens, car le péril pour le Consulat se prononçait maintenant d’un autre côté, et se levait à droite.


III

Ce danger provenait moins d’un mouvement d’opposition que d’un compromettant enthousiasme. Les nouvelles qui arrivaient peu à peu des départemens étaient bonnes, sans être de tous points satisfaisantes. Ce qu’on peut appeler le pays légal, les administrateurs, les fonctionnaires, les juges, pour la plupart républicains prononcés et teintés de jacobinisme, acceptaient de plus ou moins bonne grâce la révolution toute faite qu’on leur expédiait de Paris. Quelques protestations isolées s’étaient produites, quelques clubs avaient essayé de remuer, mais ces résistances éparses avaient succombé tout de suite devant la salis-faction non équivoque ou l’inertie des masses ; il n’était pas un seul point de la France, un canton, une bourgade, où s’élevât un mouvement de peuple ou de bourgeoisie pour défendre les

  1. Notice de Jourdan sur le 18 brumaire.
  2. Corr. VI, 4397. Le nom de Jourdan ne figure pas sur la liste antidatée qui fut insérée au procès-verbal de la première séance consulaire, mais il est bien évident que ce procès-verbal, non signé d’ailleurs des Consuls, a été arrangé après coup et que l’on y a placé des décisions ultérieurement prises ou modifiées.