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fiance, qu’il partirait le soir même pour Paris : tout d’un coup un télégramme de M. le président du Conseil l’a invité à s’adresser au préfet, qui avait reçu ses instructions. M. Flaissières n’a pas l’habitude d’être traité aussi cavalièrement. Sa déconvenue a été arrière, et il s’en est expliqué avec une vivacité toute marseillaise. — Est-ce ainsi qu’on, me traite, moi, Flaissières, qui ai rendu tant de services à la République ? Eh bien ! on va voir. — Ce qui s’est passé depuis est-il la conséquence de cette menace ? Peut-être. Au surplus, à quelque hypothèse qu’on s’arrête, et, soit qu’on attribue « l’erreur » commise à M. Millerand, soit qu’on l’impute à M. Flaissières, il faut convenir que cette affaire a été conduite avec une impardonnable légèreté. Quoi ! Il s’agissait de l’apaisement des esprits dans une grande ville, peut-être la plus impressionnable de toutes ; il s’agissait d’une grève qui a déjà duré un mois et dont tout le monde désire le dénouement ; il s’agissait enfin des plus grands intérêts matériels et moraux ; et, pour traiter des questions aussi délicates, M. le ministre du Commerce, au lieu d’opérer lui-même, a recours à un de ses attachés, on ne sait lequel ! Et, pour une communication d’une aussi extrême importance, il emploie ou permet d’employer, quoi ? le téléphone, c’est-à-dire un instrument qui ne laisse aucune trace de ce qu’on lui a confié, et ne permet pas au ministre lui-même de contrôler le message qui a été transmis en son nom ! On croit rêver en lisant ce récit. On se demande dans quel monde on est. Toutes les suppositions viennent à l’esprit : la plus clémente est que nos ministres sont inconsciens. Le télégramme entortillé de M. Millerand à M. Grimanelli restera comme un monument du régime actuel. « Allez voir, disait le vieil Oxenstiern à son fils, avec combien peu de sagesse le monde est gouverné. » Nous doutons toutefois que, de son temps, il l’ait été aussi à la diable qu’aujourd’hui.

Si les patrons marseillais, intimidés par la responsabilité dont on les accablait déjà, avaient accepté l’arbitrage sans aller au fond des choses et sans y regarder de plus près, le gouvernement se féliciterait de la faute qu’il a commise. Felix culpa ! dirait-il ; à quelque chose malheur est bon. Mais les entrepreneurs et les armateurs de Marseille ont gardé leur sang-froid, et, bien sûrs que, si une imprudence avait été commise, elle ne pouvait pas leur être imputée, ils ont à l’unanimité repoussé l’arbitrage. La pression, directe cette fois, que le préfet a exercée sur eux n’a produit aucun effet. Ils ont protesté de leurs bonnes dispositions à l’égard des ouvriers ; ils n’ont jamais refusé la conversation avec leurs représentans légitimes ; ils sont prêts