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Considérez de près ces deux tableaux intentionnellement rapprochés : la mort des vieillards et des enfans boers, dans la tranchée, sur le veldt lointain d’où l’évocateur les transporte jusque sous nos yeux affligés ; le départ des jeunes volontaires d’Oxford, après la bénédiction du pasteur, reçue entre les tombes illustres, dans le cloître où plane le grave esprit de la vieille Angleterre. Je ne cite pas, je ne résume pas : on ne résume pas la vie, le sortilège de ces mots tout chargés d’histoire, de réalité observée, de divination éloquente. Lisez ces pages, et d’autres du même ordre, vous qui gémissez avec quelque raison sur l’appauvrissement de notre pensée et de notre langue : vous ne trouverez rien de plus intense, rien de plus achevé dans la littérature de notre temps.

Avec une haute équité où l’art trouve ses plus sûrs effets, M. Chevrillon nous rend ces visions simultanées ; le spectacle imposant d’un grand peuple fidèle à ses traditions, impassible dans la mauvaise fortune, soulevé par la fierté de son effort patriotique ; le spectacle sublime des glorieux paysans qui prient et meurent, là-bas, martyrs de cet effort. « L’immorale nature, » nous dit-il, oppose l’une à l’autre ces deux belles harmonies, comme s’opposent les devoirs antagonistes dans le mystère de la guerre. Spectateur ému, le voyageur se prête alternativement aux deux impressions : son cœur, si je puis dire, guette les nouvelles du Transvaal au bout du fil télégraphique et soutire avec les Boers ; son esprit s’attache à comprendre les raisons de l’Anglais. C’est l’objet principal qu’il s’est proposé : démêler ce qu’il y a de sincère dans leur sophisme, et partant de respectable dans la conviction de ces hommes qui se font tuer noblement, eux aussi, sous le drapeau de la Reine.

On ne saurait trop engager nos compatriotes à examiner les choses de ce point de vue. Nous avons la fâcheuse habitude de crier à l’hypocrisie, quand les hommes ou les nations qui se piquent d’austérité blessent notre conception de la justice et nos délicatesses morales. Lorsque Guillaume Ier d’Allemagne invoquait sa mission divine, lorsque ses soldats remerciaient leur Dieu sur notre sol usurpé, nous ne voulions voir que pharisaïsme et tartuferie dans les sentimens de nos vainqueurs ; nous nous refusions à croire qu’ils fussent sincères dans leur illusion, et qu’elle pût leur mettre au cœur une force redoutable. Mieux eût valu pénétrer les dispositions de lame allemande : mieux