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prairie de Musashi. Le paysage plat et triste n’a pas dû changer depuis le soir où Naô le parcourut à la recherche de Tsuruga, hormis que des cheminées d’usine commencent à en obscurcir l’horizon. Mais l’église de Sosenji n’est plus la même. Le vieux temple, que sa solitude et son antiquité rendaient doublement saint, n’a point échappé à l’incendie, cette fleur de Yedo éclose tous les soirs. On l’a rebâti moins beau, moins grand, car la foi diminue, dépendant il est toujours fréquenté, si l’on en juge par la statue de granit qui se dresse derrière la porte d’entrée. C’est la statue de Jizô, le dieu des voyageurs, des enfans et des mères. Debout sur une fleur de lotus, la figure sévère et douce, coiffé d’un chapeau qui ressemble à un plat renversé, il tient un joyau dans sa main gauche et dans sa droite un sceptre où pendent des anneaux de fer. Sur les degrés du socle sont rangées des statuettes également en pierre, presque informes, mais ornées de rubans rouges, et dont chacune, offerte par une mère, représente un enfant sauvé. Le petit pont et le fossé existent encore ; seulement les plus ont disparu. Il n’en reste plus que quatre ou cinq, maigres et tordus, qui longent au bord de l’allée un étang vert, plein de nénufars. Le cimetière s’étend à gauche sous une végétation qui sent la ruine. Les tombes s’y pressent, car les Japonais, plus petits que nous, tiennent moins déplace dans la mort. Quelques-unes, encloses d’une balustrade de pierre, recouvrent des cadavres de princes. Les colonnes funèbres, surmontées d’un étrange chapiteau, ont l’air de gros champignons moussus, mais elles sont presque toutes flanquées de longues planchettes de bois qui indiquent que ces morts ne sont pas oubliés et qu’on fête pieusement leurs anniversaires. Sur le même alignement, treize statues de saints bouddhistes, une fleur de lotus entre les doigts, gardent cet inégal et immobile troupeau de sépulcres et de lanternes décoratives. Le Japonais qui m’accompagnait n’y put découvrir la tombe d’Imamurasaki.

Nous revînmes sur nos pas et nous allâmes frapper à la porte du prêtre. Un petit bonze nous ouvrit, et j’eus envie de lui dire : « N’est-ce pas vous qui avez reçu jadis le seigneur Naô Saburô ? » car je reconnus son air modeste et ses yeux baissés. O merveille ! Le chef de l’église était à Kamakura, mais l’enfant courut chercher un ancien samuraï qui demeurait tout à côté, et revint accompagné d’un vieillard clopinant. Maigre et voûté, ce vieillard portait l’ancienne coiffure féodale : le haut de la