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— C’est lui, vous dis-je ! Savez-vous son adresse ?

— Il a une salle d’armes à l’extrémité d’Asakusa, près du temple de Sosenji.

— Il recevra donc ma visite dès ce soir ! dit Naô.

Mais, au moment qu’il allait quitter sa maîtresse, son cœur tout à l’heure si fier s’amollit et son visage devint mélancolique.

— Vous le savez, murmura-t-il, je suis faible en escrime, et l’homme que je dois tuer me tuera sans doute. Nous ne sommes pas loin d’Asakusa : demain matin, quand vous apprendrez qu’un samuraï est mort, vous pourrez, supposer que c’est moi. En ce cas, oïran, priez pour mon âme et allumez pour elle des baguettes d’encens. Je ne vous demande rien de plus.

Sa voix tremblait en achevant ces mots et des larmes lui montèrent aux yeux. Imamurasaki se leva brusquement, et d’une voix mordante :

— En vérité, Naô-san, que me chantez-vous là ? dit-elle. Oubliez-vous à qui vous parlez, et depuis quand suis-je votre femme ? Je vous ai rendu service, il est vrai, mais uniquement pour m’acquitter de vos nombreuses visites. Je n’ai point eu d’autre raison, sachez-le bien. C’est mon métier d’attirer et de retenir les hommes. Et, si j’étais forcée de brûler des baguettes d’encens, chaque fois qu’un de mes amans vient à mourir, j’y serais occupée du matin au soir ! Vous vous flattez, parce que vous êtes plus beau garçon que les autres ! » Et se tournant vers ses servantes : — Ce samuraï est fou. Moquez-vous de lui !

Et les servantes éclatèrent de rire. Naô bondit sous l’outrage.

— Une oïran qui ose faire honte à un samuraï !… s’écria-t-il. Une oïran n’est qu’une bête impure !

Mais, la main crispée sur la garde de son sabre, il réfléchit que, s’il tuait cette femme, on l’arrêterait avant qu’il eût vengé son père. Farouche, ivre de colère et d’humiliation, il s’élança hors de la chambre et gagna la rue, tandis que les servantes et les oïrans, penchées au balcon du premier étage illuminé, le poursuivaient de leur rire insultant.

Naô s’enfonça dans les ténèbres. C’était l’heure où les gentilshommes se rendaient à cheval au Yoshiwara. Les valets d’écurie, tenant d’une main la bride de leur monture et de l’autre une lanterne, chantaient le long de la route de courtes chansons