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comme la cérémonie du mariage. On y fait le solennel échange des trois coupes de saké qui consacre les unions japonaises : un garçonnet les verse à la dame, une fillette à l’hôte, et la dame, ainsi qu’il convient aux nouvelles épousées, digne et grave, se retire aussitôt dans son appartement. La seconde rencontre coûte plus cher que la première, la troisième plus cher que la seconde. Mais à cette troisième, l’oïran, tenue pour votre femme légitime, peut manger en votre compagnie avec des bâtonnets d’ivoire et vous appeler par votre petit nom. Si d’un coup vous payez les trois rencontres, on suppose accomplie ; la cérémonie du saké et l’oïran qui s’est départie de sa réserve vient à vous déjà familière.

C’est pourquoi, dès qu’elle eut abaissé les yeux sur l’offrande du jeune rônin, Imamurasaki se leva et s’avança vers lui, le sourire aux lèvres, avec un air d’intimité1. Elle ôta son manteau flottant aux couleurs éclatantes, et, s’agenouillant à ses côtés, lui tendit sa longue et mince pipe d’argent.

— Vous êtes le bienvenu, lui dit-elle, Naô-san : ne voulez-vous point fumer un peu ?

Et Naô vit entrer des geishas qui portaient des tambourins et des shamisen. Il remarqua qu’elles étaient toutes assez laides, car au Yoshiwara, on a soin de les choisir disgraciées du visage, afin que le désir des amoureux ne s’égare jamais de l’oïran sur la musicienne. Mais les oreilles y gagnent autant que les yeux y perdent, et toute la beauté qu’on souhaiterait qu’elles eussent passe dans leurs concerts et leurs chansons. Vous ne trouveriez nulle part de geishas plus expertes à pincer les cordes sonores, ni à frapper de leurs frôles doigts endurcis la peau des grosses bobines qui leur servent de tambours. Et nulle part des voix plus habiles ne chantent les branches du saule que le vent a séparées un instant pour les mieux réunir, ou la mélancolie silencieuse du ver luisant dont le corps n’étincelle qu’en brûlant d’amour.

Xaô les écoutait, tandis que l’oïran, attentive à le servir, remplissait sa coupe de saké tiède, de ce bon saké sans lequel ni la fleur n’exhale de parfum, ni l’amour de volupté. Et, quand il se fut régalé de celle musique dont vibraient toutes les cloisons de l’hôtellerie, Imamurasaki donna le signal du départ.

— Naô-san, dit-elle, ne me ferez-vous point l’honneur de venir chez moi ? et vous aussi, mesdames.

Elle prit la main du samuraï, et les geishas, s’inclinant, ne