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nulle femme, au Yoshiwara, ne fut plus réputée qu’Imamurasaki pour la culture de son esprit et la parfaite convenance de ses manières. L’énergie de son âme donnait à son visage je ne sais quelle héroïque décence qui la faisait remarquer de tous les gens d’honneur.

A peine s’était-elle assise où l’étiquette lui assignait sa place, qu’un homme d’armes se détacha de l’ombre des cerisiers, et, traversant l’avenue, apparut au seuil de la chaya. Il tenait son éventail à la main et portait enfoncé sur sa tête l’espèce de panier renversé dont les rônins, ces chevaliers errans, se masquaient la figure. « Permettez ! » fit-il, car les samuraïs ne prononçaient point d’autres paroles, lorsqu’ils entraient dans une maison. On le salua profondément et on le conduisit au premier étage où, quand il eut enlevé son chapeau, les servantes reconnurent qu’elles avaient affaire à un tout jeune et très noble seigneur.

— Je suis, dit-il, un samuraï des pays lointains, et pour la première fois je mets le pied dans ce quartier des Fleurs. J’attends donc de votre obligeance qu’il vous plaise de m’en indiquer les usages et de m’y gouverner. » Et, s’adressant à la bonne qui lui présentait une petite tasse de thé : « N’êtes-vous point la maîtresse de céans ? » lui demanda-t-il.

— Hé ! répondit-elle, votre seigneurie se moque. Je ne suis qu’une humble servante pour vous servir, mon seigneur.

— Alors, c’est vous le patron du logis ? dit l’étranger en se tournant vers le domestique qui s’était empressé sur ses pas et se prosternait devant lui.

— Vous aimez à rire, seigneur samuraï : je n’en suis que le jeune homme.

— Le jeune homme ? Quel âge avez-vous donc ?

— Hé ! J’achève ma quarante et unième année.

— L’étrange pays où un homme de quarante ans se pique encore de jeunesse !

— Honoré seigneur, en ce quartier, fussent-ils aussi vieux que les vénérables tortues, les domestiques portent toujours le nom de jeune homme. Mais comme il me paraît que voire expérience du Yoshiwara est peut-être incomplète, oserai-je vous demander si vous avez par hasard une connaissance et si vous désirez que j’aille vous la quérir ?

— Vraiment ? Est-on tenu de faire venir ici ses connaissances ?