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l’Égypte. » Ce rêve étrange s’est transmis à travers les siècles : ou trouverait la crainte vaguement sentie d’un danger de même nature parmi les argumens de ceux qui espèrent un conflit entre l’Éthiopie, maîtresse des sources du Nil bleu et de l’Atbara, et les détenteurs actuels de cette Égypte où, sans l’eau du fleuve, la terre ne serait que sable et désert.

Ismaïl, poursuivant les conquêtes de Méhémet-Ali, devait naturellement se heurter aux Éthiopiens dans cette zone intermédiaire qui s’étend tout autour du grand massif abyssin et qui est le champ de bataille traditionnel des musulmans et des chrétiens. En 1866, à l’instigation de sir Henry Bulwer, ambassadeur d’Angleterre à Constantinople, la Porte céda au Khédive ses droits sur le littoral africain de la Mer-Rouge ; des troupes égyptiennes, profitant des guerres intérieures où Théodoros usait son énergie et ses armées, occupèrent Massaoua, Zeïla et Berbera, c’est-à-dire tous les ports qui peuvent servir de débouché mari-lime au commerce éthiopien ; en 1870-1872, les officiers du Khédive soumirent la tribu chrétienne des Bogos, qui, au nord-ouest de Massaoua, est la sentinelle avancée de la Croix en face de l’Islam, et occupèrent Kéren, leur capitale. Ainsi, non seulement les Éthiopiens perdaient toute fenêtre sur la Mer-Rouge, mais, vers l’Océan Indien, vers les Grands-Lacs et vers le Haut-Nil ils étaient devancés et tournés. Emin-pacha, organisait pour le compte de l’Égypte la province équatoriale, Cordon s’établissait à Khartoum ; tout le long du Nil blanc, des postes égyptiens jalonnaient les étapes de la formidable puissance qui allait dominer la vallée tout entière du fleuve. En même temps, la manœuvre décisive s’accomplissait ; de tous les points de l’horizon, de Massaoua, de Zeïla, et en remontant le Nil bleu et l’Atbara, les forces égyptiennes convergeaient pour pénétrer, au cœur même des plateaux. Mais l’invasion fut rudement éconduite par le nouveau Roi des rois, Kassa, devenu le négus Johannès : coup sur coup, il gagnait trois batailles, détruisait d’abord un corps de 2000 Égyptiens qui tentait de remonter le Nil bleu ; puis, en 1876, il anéantissait à Goundet une armée de 30 000 hommes partie de Massaoua. Malheureusement, au sud du Choa, un corps ennemi occupait l’importante et forte place de Harrar ; toutefois l’Éthiopie proprement dite n’était pas entamée ; elle avait su si bien imposer le respect de ses frontières que Cordon, comprenant la nécessité d’assurer son flanc gauche à mesure qu’il