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série de difficultés et de malentendus qui ont été jadis racontés ici même[1], et où le « barbare » n’eut pas toujours tous les torts, Théodoros écrivit à la reine Victoria une lettre qui resta sans réponse ; l’empereur se crut bravé, méprisé dans son autorité : lui, l’un des plus grands princes de la chrétienté, était, traité comme un roitelet sans importance ; il fit charger de chaînes et emprisonner le consul anglais Cameron, plusieurs missionnaires, et, bientôt après, toute une mission officielle britannique venue pour réclamer la libération des premiers captifs. L’Angleterre a eu jusqu’ici pour principe, — et c’est un des facteurs de sa fortune politique, — de toujours soutenir énergiquement, à l’étranger, les moindres de ses nationaux. Pour venger l’insulte faite à sa dignité, elle se décida à une expédition coûteuse. Sir Robert Napier réunit, à Bombay les élémens d’une petite armée ; 14 000 combattans, 27 000 suivans, 31 500 animaux de bât ou de guerre, 44 éléphans portant l’artillerie, vinrent débarquer à Zoulla, sur la Mer-Rouge, traversèrent l’étroite bande déserte du pays des Danakils et s’élevèrent jusque sur le plateau de Sénafé par d’effroyables défilés et des cols que, par bonheur, aucun ennemi ne gardait. Théodoros se croyait inattaquable dans son nid d’aigle de Magdala ; mais, abandonné de tous les siens, acculé dans son fort par les Anglais victorieux de ses troupes, il renvoya ses prisonniers et, pour ne pas tomber entre les mains de ses ennemis, l’héroïque aventurier mil entre ses dents le canon d’un pistolet et fit feu.

L’expédition anglaise avait atteint son but : les captifs étaient délivrés et Théodoros puni. Au point de vue de l’art militaire, ce raid de 450 kilomètres à travers le plus accidenté et le plus sauvage des pays, reste un modèle d’expédition coloniale longuement, minutieusement préparée, exécutée par un chef énergique, avec une forte dépense d’argent[2], mais avec une grande économie d’hommes. Il convient toutefois de ne pas oublier que la campagne fut singulièrement facilitée par une série de négociations et par la complicité des grands vassaux du Négus. La tyrannie niveleuse de Théodoros avait amassé dans toute, l’Ethiopie des rancunes et provoqué des rebellions ; il suffit à

  1. Revue du 15 juillet 1868 : La Guerre d’Abyssinie, par M. Henri Blerzy. — 1er avril 1869 : l’Expédition d’Abyssinie en 1868. Souvenirs et impressions d’un officier français attaché à l’état-major de sir Robert Napier, par M. Louis d’Hendecourt.
  2. L’expédition coûta au moins 200 millions de francs.