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sauvant des parcelles de christianisme, sauvèrent des parcelles de nationalités ; de là, de Galicie et de Transylvanie, du Caucase et de l’Abyssinie, partirent, dans la suite des âges, les revanches de la foi et du patriotisme ; de là, des peuples, un instant oubliés, reparurent pour reprendre le cours interrompu de leur développement historique. Notre siècle a assisté à beaucoup de ces résurrections. Après la Grèce, la Roumanie, la Serbie, la Bulgarie, les peuples du Liban et du Caucase, l’Abyssinie reprend aujourd’hui sa place au foyer de la patrie chrétienne.

Quand l’Islam eut, au pied des monts abyssins, conquis l’Arabie et l’Egypte, les peuplades noires et les tribus gallas, l’histoire d’Ethiopie prit naturellement un cours nouveau ; « pendant quatorze siècles, l’Ethiopie est une île de chrétiens au milieu de la mer des païens[1] ; » sa vie, dès lors, n’est plus qu’une longue lutte pour l’existence contre les flots pressans des peuples mécréans ; tantôt battus, tantôt battans, les montagnards finissent par user l’énergie conquérante des musulmans et par sauver leur nationalité et leurs croyances ; croisades et guerres féodales, voilà ce qui remplit les annales de l’Ethiopie pendant ce long moyen âge d’où elle sort à peine et où elle vécut, privée de l’alluvion rénovatrice des idées et des inventions de l’Occident, repliée sur elle-même, ignorante du reste du monde et oubliée de lui.

C’est pendant une des périodes les plus critiques de ses destinées que, tout à coup, les voiles qui cachaient aux chrétiens d’Europe le royaume mystérieux du Prêtre-Jean se déchirent : au cours du XVIe siècle, la fièvre généreuse de l’expansion portugaise porte des conquistadores, des aventuriers et des missionnaires jusque sur les bords de la Mer-Rouge. Bermudez, patriarche d’Alexandrie, vient en Abyssinie en 1525 ; reconnu comme chef religieux par le Négus, il est chargé par lui d’une mission auprès du roi de Portugal. De retour en 1538, il est accompagné du capitaine don Christophe de Gama et d’une troupe de soldats dont les exploits et les tribulations rappellent les plus fantastiques aventures des Cortez et des Pizarre. Cette poignée de guerriers devint le plus précieux appui du Négus dans la lutte sans merci qu’il soutenait contre Ahmed Gragne, prince musulman de Zeïla ; leurs fusils et leurs canons décidèrent du

  1. Lettre du négus Ménélik aux puissances européennes (10 avril 1891).