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fleuves qui en descendent par détroits défilés sont coupés de cascades infranchissables, ou n’aboutissent qu’à des bassins lacustres, ou encore s’évanouissent dans des mers de sable. En outre, des déserts, des steppes peuplées de tribus sauvages, de musulmans fanatiques, des marais mortels aux hommes des plateaux, repoussent les Ethiopiens des bords mêmes de la Mer-Rouge et du Nil, si bien qu’à cheval entre ces deux grandes voies de la circulation et des échanges universels, le massif abyssin est contourné, longé par l’une et par l’autre, mais ne touche directement ni à l’une ni à l’autre : il se dresse entre elles comme une terre de refuge et d’asile.

On a quelque honte à redire, — mais il le faut, tant sont vivaces les préjugés, — que les Ethiopiens ne sont point des nègres et qu’il n’est pas à leurs yeux de pire injure. Leur teint est bronzé ; certains types de la classe aristocratique, surtout parmi les femmes qui mènent une existence plus recluse, restent presque blancs ; leur filiation sémitique n’est pas douteuse ; ils sont certainement venus d’Arabie, et leurs légendes, qui font des Négus les héritiers de Salomon et de la reine de Saba, ont conservé un souvenir de cette antique origine. En Afrique, ils se sont mêlés à des peuplades noires du voisinage, et l’esclavage, longtemps pratiqué, a introduit dans le type de la race certains traits, plus ou moins appareils selon les individus, qui rappellent les nègres. Le nom d’Abyssins, que les Arabes leur ont donné, et qu’ils considèrent comme injurieux, est une allusion à ces mélanges de sang.

Les Ethiopiens, durant les temps antiques, participent à la vie si intense de cet Orient d’où nous avons reçu notre civilisation et nos croyances ; ils ont conservé, depuis l’époque des Ptolémées, des chroniques écrites qui attestent la place glorieuse qu’ils ont tenue dans le monde. Au IVe siècle de notre ère, sous le patriarchat de saint Athanase, saint Frumence leur apporte d’Alexandrie le christianisme, qu’ils ont depuis conservé comme le lien et le vivant symbole de leur nationalité. Mais bientôt la grande vague de l’islamisme recouvre tout l’Orient ; elle déferle, depuis les déserts de l’Arabie jusqu’aux rives de la Loire, jusqu’au-delà du Danube, jusqu’aux sources du Nil ; çà et là seulement, la croix émerge encore, plantée obstinément au sommet des montagnes par quelques races plus fières et mieux protégées par la nature ; ces îlots, au milieu de l’océan des infidèles, en