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terribles efforts de la vieille Chine, où Mahomet compte déjà un grand nombre de fidèles, pour expulser l’étranger et exterminer les chrétiens. Nous croyons volontiers les croisades disparues pour jamais dans la nuit des temps écoulés ; mais peut-être le moment est-il moins éloigné qu’on ne le suppose, où la nécessité les imposera de nouveau, comme un devoir primordial, au monde « civilisé. » L’Europe, alors, devra se souvenir qu’au milieu même des tribus et des peuplades musulmanes, de vaillantes nations ont soutenu, pendant des siècles, la lutte implacable pour leur foi et leur liberté, quelles ont bien mérité de la chrétienté, et qu’elles sont autre chose que des clientes destinées à absorber, dût-on les y contraindre par la force, la surproduction de nos industries. — L’Ethiopie est une de ces nations, dont l’existence est non seulement nécessaire à l’équilibre des ambitions concurrentes, mais qui servent à l’Europe ingrate de sentinelles vigilantes et d’avant-postes résistans. — Depuis quelques années, c’est en Afrique et en Asie que se prépare l’histoire future et que se décide, dans des conflits moins retentissans, en apparence, que les guerres européennes d’autrefois, l’avenir des grandes puissances de demain : l’opinion publique est encore peu habituée à suivre la marche de ces événemens, qui s’accomplissent loin de nos capitales ; elle est malhabile à discerner les élémens de ces problèmes lointains. C’est un des facteurs de la politique africaine dont nous voudrions ici déterminer l’importance et montrer la fonction.


I

Il est des régions que leur constitution physique prédestine à remplir, dans l’économie générale du monde, un office de conservation et de résistance. et, de même, il est des peuples qui, pour un temps oubliés et séparés du grand courant de la vie civilisée, reparaissent tout à coup sur la scène de l’histoire, soit par le jeu mystérieux de lois supérieures, soit par le hasard des révolutions politiques. Il en a été ainsi de l’Ethiopie et des Ethiopiens.

Dans cette Afrique massive, aux reliefs peu accentués, le plateau d’Abyssinie tranche sur la monotonie régulière du sol. Le formidable amas de ses terrasses volcaniques s’entasse, entre le Nil et la Mer-Rouge, comme une énorme masse, épaisse et