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La méthode de guerre de Galen, — sans parler même du brigandage, — n’est certes pas pour consoler un militaire imbu des bonnes règles de l’art. Sitôt à portée des remparts, et avant d’avoir pris le soin d’investir complètement la ville[1], l’évêque dispose canons et mortiers en batterie ; et subitement, avec une rage inouïe, bombes et boulets pleuvent sans relâche sur tous les points qu’ils peuvent atteindre. Le plaisir de la destruction se double d’un grossier calcul. Terroriser les assiégés par un « foudroiement effroyable, » et frapper leurs esprits d’une crainte superstitieuse qui paralyse toute résistance, c’est le moyen qu’il tient pour infaillible, et qui jusqu’alors, à vrai dire, ne lui a que trop réussi, Groningue aura, dans cette pensée, l’honneur de ses plus récentes découvertes. Ses bombes sont telles que, de ce temps, on n’en avait encore point vues. Pesant « plus de 400 livres, » elles ont « quatre doigts d’épaisseur, le reste étant rempli de poix, de soufre, de salpêtre et de poudre à canon. » « Par leur seule pesanteur, dit un contemporain, elles traversaient tous les étages et tombaient dans la cave, où, faisant leur effet, on voyait en moins d’un instant la maison entière renversée[2]. » La nuit, il jetait dans la place « certaines machines de fer, remplies d’une matière combustible, qui s’enflammait par des ressorts qui se débandaient dans la chute, et faisait rejaillir quantité de ferrailles qui brisaient fou taux environs. » En trois jours, un quart de la ville fut détruit et « réduit en poudre. »

A la grande surprise de Galen, en dépit de cet « ouragan, » personne dans la population ne songe encore à crier grâce. « Vous ne trouverez point ici des lâches et des poltrons comme à Cœvorden, » lui écrivait, le premier jour du siège, le gouverneur, M. de Rabenhaupt ; et cette parole se réalise. Les assiégés, massés de l’autre côté, du canal, regardent flamber leurs maisons avec philosophie. Menu, le quatrième jour, les bourgeois, par bravade, « font la débauche » sur les remparts, et « se réjouissent jusqu’à la nuit au milieu des fanfares. » Le quartier le plus opulent se trouvant le plus exposé, ses habitans s’entassent dans les demeures « les plus chétives, » où tous, pauvres et riches, nobles

  1. Pomponne, dans ses Mémoires, attribue cette étrange tactique à la cupidité de Galen. Il se croyait, dit-il, « si sûr de prendre la place, » qu’il ne voulut jamais permettre aux troupes de M. de Cologne d’occuper la région qui s’étendait de l’autre côté du canal, de peur qu’elles ne la ruinassent, et diminuassent ainsi le butin qu’il comptait récolter. « Cet esprit de ménage lui fît manquer sa conquête. »
  2. La Vie et les Faits, etc.