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ajournèrent cependant l’effet de ces dispositions. Pradel, avec ses rétiniens, campa sur les bords de l’Yssel. Avec cette période d’oisiveté s’ouvrit pour la Hollande l’ère des tribulations. Tous les documens de l’époque. — qu’ils viennent de France ou d’ailleurs, — s’accordent en effet sur la « méchante conduite » des troupes françaises envers leurs alliés et leurs hôtes. « Ils faisaient consister leur galanterie, écrit le chevalier Temple[1], à donner les Hollandais mille fois au diable, pour les remercier de les avoir invités à venir chez eux… Ils ne payaient rien, ou, s’ils payaient quelque chose, c’était en fausse monnaie ; et ils recevaient le meilleur traitement que les Hollandais pussent leur faire avec mépris et insolence. » — « Quelque bien qu’on leur put faire, dit un autre écrivain du temps, leur conduite obligea quantité de paysans à quitter leurs maisons ; ils n’étaient guère moins à craindre que les ennemis eux-mêmes. » Dans la petite ville de Rées, le commandant français faisant porter le Saint-Sacrement à un malade, les soldats frappèrent cruellement les bourgeois protestans qui ne s’agenouillaient pas au passage du cortège, et Louvois dut intervenir pour blâmer cet excès de zèle, qui, « quoique très conforme, écrit-il[2], aux sentimens intimes de Sa Majesté, est tout à fait contraire à la manière dont elle désire qu’on vive à l’égard d’un peuple jaloux de sa religion. »

La différence des croyances religieuses est en effet la première cause de ces tristes désordres, les soldats, dans leur naïveté, ne pouvant s’expliquer qu’ils vinssent, eux catholiques, au secours d’un peuple hérétique contre les armes d’un évêque. Aussi leur sympathie allait à leurs alliés beaucoup moins qu’à leurs adversaires ; on les vit plus d’une fois boire publiquement dans les rues « à la santé de M. de Munster[3]. » Par réciprocité, les soldats de Galen, — mercenaires d’origine diverse, peu payés, mal nourris et traités durement par surcroît, — ne cachaient point leur goût pour le service de France. Des compagnies entières passaient ainsi d’un camp dans l’autre ; et Louis XIV écrivait à d’Estrades pour le presser d’appuyer ce mouvement, qui, lui dit-il, a le double avantage « de diminuer les forces de l’ennemi et d’augmenter les miennes. » Le nombre des transfuges, — excités par les « billets » qu’on jetait dans

  1. 10 décembre 1665. Annales des Provinces-Unies.
  2. Lettre du 19 février 1665. (Arch. de la Guerre.)
  3. Lettre du chevalier Temple. Loc. cit.