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affreux » qu’il faisait à son peuple, proposant néanmoins de lui ouvrir les portes, pourvu qu’il s’engageât à respecter les anciens privilèges, à traiter ses sujets « en prince et non pas en tyran, en pasteur et non pas en loup. » La réponse de Galen ne leur laissa point d’espérance. Il répliqua d’un ton hautain qu’en invoquant contre leur prince le secours d’un État voisin, ils s’étaient rendus à jamais indignes de leurs droits et de leurs privilèges ; qu’en désobéissant « à leur maître naturel, » ils avaient commis sciemment « le plus grand des péchés, » et que leur seule ressource était de se rendre à merci. Sur quoi bombes et « boulets ardens » recommencèrent à pleuvoir de plus belle.

Ainsi brutalement rebutés, les Munstériens tournèrent leur espoir au dehors. Le bruit de cette guerre inhumaine s’était répandu en Europe. Ce prince décimant ses sujets, cet évêque bombardant ses ouailles, ne laissait pas de causer du scandale chez les nations chrétiennes. Le Saint-Siège s’émut le premier : le Pape, par un bref péremptoire, somma Galen de mettre bas les armes et de cesser le feu sur l’heure, sous menace d’encourir « son indignation et sa haine. » Mais ces foudres lointaines ne produisirent aucun effet ; le prélat affecta d’en rire et, pour témoigner son mépris, accabla le lendemain la ville d’une si foudroyante avalanche que, des hauteurs voisines, on la crut un moment « embrasée tout entière. » Les électeurs de Bavière et de Saxe, vicaires et administrateurs de l’Empire depuis la mort de Ferdinand III[1], intervinrent à leur tour, adressèrent un appel à la « miséricorde, » et remportèrent le même succès. La conscience d’un tel homme n’admet pas le remords, et, pour arrêter sa vengeance, les bonnes paroles et les exhortations sont à coup sûr des armes bien fragiles. « Il faut, répétait-il souvent[2], qu’un homme de guerre se fasse un plaisir du carnage, de l’effusion du sang, et qu’il soit insensible aux gémissemens des blessés. Quiconque n’est pas de cette humeur n’a que de la mollesse, et ne mérite point de passer pour homme de cœur. » Quant à l’honneur et la justice, il n’y voyait que « des chimères, un peu de vent et de fumée dont se repaissent les âmes infatuées de préjugés, » tandis que « l’argent et le fer sont les vrais maîtres du monde. » Ainsi, deux siècles à l’avance, ce prélat

  1. Survenue le 2 avril 1657.
  2. La Vie et les Faits mémorables, etc.