Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 2.djvu/500

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’ai pris comme type l’usine de M. Bergès, à Lancey. Je ne crois pas, en effet, qu’on puisse contester à celui-ci l’honneur d’avoir été le premier ingénieur qui ait eu la hardiesse d’utiliser les hautes chutes. D’autre part, les transformations et les agrandissemens de l’usine sont un schéma complet du progrès accompli dans l’emploi des forces hydrauliques. M. Bergès est, incontestablement, l’inventeur du nom et de la théorie si féconde de la houille blanche ; non moins que ses aménagemens, qui remontent à 1869, la note si substantielle qu’il a publiée, en 1889, fait date en la matière. Enfin, M. Bergès, esprit hardi, inventif, imaginatif si l’on veut, n’a jamais cessé de poursuivre, avec une inlassable ténacité, le développement de l’idée-mère à laquelle il attribue la portée d’une révolution économique formidable. Ce n’est pas seulement un ingénieur habile, ou un industriel entreprenant : c’est un apôtre.

Mais, ceci dit, il faut reconnaître que les progrès accomplis depuis quarante ans sont dus à la collaboration de toute une équipe d’hommes ingénieux ou hardis qui se sont appliqués à l’étude théorique ou à la solution pratique de ce passionnant problème ; ils sont dus surtout à la collaboration de toute la région montagneuse qui se rattache au grand massif alpestre : Dauphiné, Savoie, Suisse, Italie. A l’heure présente, dans cette région, toutes les eaux sont captées ou retenues. Un récent travail de M. Tavernier évalue la puissance moyenne totale des usines réglementées ou en voie de réglementation, rien qu’en France, à 230 000 chevaux. Ce ne serait, d’ailleurs, qu’un vingtième de la force brute, plus ou moins utilisable, qui est évaluée à 3 millions de chevaux.

Sur tout le massif du Dauphiné et par tout le massif alpestre, face et revers, on trouve des usines considérables installées dans tous les coins et les recoins d’un pays qui, il y a quelques années, vivait misérablement. Maintenant, il se transforme à vue d’œil. Les villages s’enrichissent, les cabanes deviennent maisons ; les moindres villages sont éclairés à la lumière électrique ; partout, les poteaux qui supportent les fils transporteurs de la force sont plantés ; les tramways électriques courent le long des vallées et abordent maintenant la montagne. Il en est ainsi tout le long du Grésivaudan, à Lancey, à Pontcharra, à Chapareillan. Les usines de la Volta Lyonnaise sont installées à Moutiers, celle du Venthon, à Albertville ; la vallée de l’Arc alimente l’usine d’Epierre,