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ancien ministre qui s’était vu obligé de quitter le pouvoir sous le coup d’une impopularité peut être injuste, mais sur le moment très vive, nous voulons parler de M. Villaverde, devenu président de la Chambre. M. Villaverde, conformément à une parole de la reine, qui, à l’ouverture des Cortès de 1899, avait annoncé à la nation qu’on lui demanderait des sacrifices, « car les temps étaient durs, » avait présenté des projets d’impôts nouveaux, genre de calice auquel tous les parlemens et tous les pays ont l’habitude de faire mauvais visage. Ces souvenirs sont encore trop récens, et les préventions qui s’y rattachent sont trop tenaces pour que le choix de M. Villaverde reçût un bon accueil : aussi la protestation a-t-elle été générale, et M. Villaverde s’est dérobé. Cette fois, il a bien fallu s’incliner. Tous les efforts qu’on avait faits en vue de réunir les groupes conservateurs dans une grande concentration monarchique avaient échoué. La reine a fait appeler M. Sagasta, et celui-ci, qui avait prévu ce dénouement, s’est trouvé avoir un ministère tout prêt. Les conservateurs ne pourront pas dire qu’ils n’avaient pas fini leur temps de pouvoir et qu’on le leur a enlevé avant l’heure : ils y ont renoncé eux-mêmes.

M. Sagasta s’est entouré de quelques-uns de ses anciens collaborateurs, plusieurs fois ministres avec lui, comme M. Moret, un des plus brillans orateurs de la tribune espagnole, et le duc de Almodovar ; mais il a fait dans son cabinet une large place à des hommes nouveaux et encore peu connus au dehors, et a donné jusqu’à cinq portefeuilles à MM. le duc de Veragua, Angel Urzaiz, le comte de Romanones, le marquis de Teverga et Miguel Villanueva. C’est donc avec une équipe renouvelée dans beaucoup de ses élémens qu’il se met en campagne. Toutefois le trait le plus hardi de sa combinaison ministérielle, — et nous ne sommes pas sûrs que ce soit précisément par hardiesse qu’il l’y ait introduit, — est la nomination du général Weyler à la Guerre. Le général Weyler appartient au parti libéral ; mais dans quelle mesure et quelles conditions, c’est ce qu’on ne sait pas au juste. Le personnage a paru jusqu’à ce jour équivoque et dangereux : aussi tous les partis l’ont-ils ménagé, et, en somme, il n’est pas bien surprenant que les libéraux dont il se dit partisan l’aient nommé ministre de la Guerre, puisque les conservateurs dont il était l’adversaire l’avaient nommé gouverneur de Madrid. Il est probable que M. Sagasta, en faisant ce choix, a été mû par une double préoccupation : il a préféré, suivant un mot connu, prendre le général Weyler dans son ministère que de le laisser dehors, et il a voulu donner une satisfaction à l’armée. Le général y est populaire, et pour de bonnes