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effroi ce qu’aurait été le lendemain de la victoire de M. Déroulède, s’il avait pu la remporter. Ce qui se passe aujourd’hui permet de l’imaginer ! La politique avait déjà fait beaucoup de mal à M. Déroulède, l’exil lui en a fait davantage. Nous l’avons plaint et nous le plaignons toujours ; mais il nous oblige à plaindre encore plus ceux qui marchaient hier avec lui et qu’il accable aujourd’hui d’accusations telles qu’il n’en a jamais adressé de plus violentes au ministère qui l’a proscrit.


Ce ministère continue à la Chambre le cours de ses succès. M. Waldeck-Rousseau vient d’obtenir, à une forte majorité, l’approbation de sa conduite dans les grèves de Montceau-les-Mines et de Marseille. L’interpellation à laquelle il répondait avait été annoncée longtemps avant de se produire : c’est qu’elle venait des socialistes. Les socialistes sentaient bien qu’ils manqueraient à toutes leurs traditions, peut-être à leurs devoirs, certainement à leurs intérêts électoraux, s’ils laissaient passer une grève, et à plus forte raison deux, sans interpeller. D’autre part, ils avaient une peur extrême de faire quelque mal au gouvernement. Aussi cette interpellation, toujours annoncée, n’arrivait-elle jamais. Le principal interpellateur, M. Antide Boyer, a été malade avec une opportunité qui ressemblait à de l’opportunisme ; et cela a fait gagner huit jours. Enfin, il a fallu s’exécuter. Les socialistes l’ont fait avec des ménagemens infinis. Au lieu des accusations virulentes qu’ils adressaient aux ministères d’autrefois en pareille circonstance, ils n’ont fait entendre que des plaintes très douces, presque des gémissemens. Rien n’était plus amusant que de lire leurs journaux le lendemain. Ils s’écriaient tous : « Bonne journée, le ministère est sauvé ! » Et c’est eux qui l’interpellaient ! Le régime parlementaire a de ces ironies.

Les modérés, seuls, ont donné un caractère sérieux à l’interpellation. Les discours de MM. Drake, Thierry, Aynard, ont eu une autre portée que celui de M. Antide Boyer. Ils ont posé une question générale et discuté une question de fait : l’une était de savoir si le ministère actuel, qu’il le voulût ou non, votens nolens, n’entretenait pas le danger de ces grèves de plus en plus fréquentes ; l’autre se rapportait plus particulièrement à la grève de Marseille, qui pouvait servir d’exemple et de preuve à leurs allégations. Sur le premier point, qu’a répondu le ministère ? M. Millerand d’abord, M. Waldeck-Rousseau ensuite ont protesté avec énergie contre le reproche d’avoir « fomenté » les grèves dont souffre si cruellement l’industrie nationale.