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avaient été modifiés, et il n’hésite pas à attribuer le fait à la trahison des royalistes, qui auraient avisé le gouvernement de ses projets. Il ne s’est pas demandé, à supposer que les changemens en question aient été vraiment le résultat d’un avis donné au ministère de cette époque, si celui-ci n’avait pas pu avoir d’autres informateurs que l’homme mystérieux dont il parle, sans d’ailleurs le nommer. Il ne s’est pas demandé davantage si son interlocuteur n’avait pas pu le questionner spontanément et sans être chargé d’une mission quelconque. Tout de suite, il a accusé le parti royaliste d’avoir joué le rôle de Judas. M. Buffet a donné un démenti à la double allégation de M. Déroulède. Il n’a pas dit que la conversation rapportée par ce dernier n’avait pas eu lieu, mais seulement que ce n’est pas lui qui l’avait provoquée. Il n’a pas dit que le gouvernement d’alors n’avait pas reçu avis de ce qui allait se passer, mais seulement que cet avis ne lui avait pas été donné par un de ses propres émissaires. N’importe : M. Déroulède a envoyé aussitôt ses témoins à M. Buffet. Deux hommes qui ont comparu ensemble devant la Haute-Cour, condamnés tous les deux, exilés tous les deux, malheureux tous les deux, vivant l’un à Bruxelles et l’autre à Saint-Sébastien, c’est-à-dire séparés par toute l’épaisseur de la France, égarés par un malentendu qu’un peu de sang-froid aurait suffi à dissiper, vont échanger des coups d’épée ou des balles. En vérité, cela fait pitié ! Cette manière de nous renseigner sur un incident contesté rendra vraisemblablement peu de services à l’historien futur. Si M. Buffet est blessé, qu’est-ce que cela prouvera ? Et si c’est M. Déroulède, que faudra-t-il en conclure ? Nous savons bien que le prétexte du duel a été changé, et qu’à une première affaire qui a été réglée par les témoins, en a succédé une autre provenant d’une insulte directe de M. Déroulède à M. Buffet. Mais personne ne s’y trompera, c’est toujours la première qui est en cause sous une autre forme. Que veut donc M. Déroulède ? Il veut mettre un peu de sang entre le parti royaliste et lui : c’est une façon d’affirmer l’intransigeance de sa foi républicaine. Mais en avait-il besoin pour être cru sur sa parole ? Quant à nous, nous n’avons jamais douté que M. Déroulède ne fût un républicain, républicain d’une espèce particulière, il est vrai, mais enfin un républicain ; il le dit, nous en sommes sûrs. A quoi bon, pour le prouver davantage, s’affubler d’un masque aussi farouche ? A quoi bon revenir à des incidens vieux de deux années, et jeter des accusations sur quelques-uns de ceux qui marchaient alors avec lui, des soupçons sur quelques autres ? Chacun s’explique, tout le monde proteste, et l’obscurité devient de plus en plus épaisse. On se demande avec