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des malheurs de la patrie aussi cruellement que M. Déroulède ; mais ils gardaient en eux-mêmes leur douleur et leur espérance, tandis que M. Déroulède, poète et orateur, confiait les siennes aux quatre vents du ciel, usant de tous les moyens de publicité et de propagande pour les faire partager à tous, et entretenir par là, dans l’âme de ses concitoyens, un ardent foyer de patriotisme. A tous ces titres, il était devenu éminemment représentatif, et ce qu’il représentait était à la fois simple, pur et grand. Nous ne disons pas que, même dans ce rôle, il ait toujours conservé la mesure qui convenait. Ses démarches ont été plus d’une fois intempestives et intempérantes. Mais elles étaient inspirées par un sentiment respectable et touchant. M. Déroulède avait adopté un rôle ; il le jouait avec une sincérité, avec une conviction, avec une passion communicatives. Moitié barde et moitié soldat, il se présentait aux générations nouvelles comme le témoin inapaisé d’une grande catastrophe, qui attendait encore sa réparation ; et c’est à cela que tenait, en grande partie, la popularité dont il était entouré. Si parfois on le trouvait gênant, on éprouvait néanmoins pour lui la sympathie qu’on ne refuse jamais au patriotisme, même lorsqu’il se trompe dans ses vues et qu’il s’égare dans ses moyens. Malgré tout, M. Déroulède entretenait, ou contribuait à entretenir chez nous quelque chose qu’il ne fallait pas y laisser mourir. Aussi lui avait-on pardonné beaucoup. Le premier reproche que nous adressons à M. Déroulède est de nous avoir, si on peut parler ainsi, dérangés dans l’idée qu’il nous avait donnée de lui. Il n’est plus tout à fait aujourd’hui ce qu’il était hier ; il n’est plus seulement un citoyen, nous allions dire le citoyen qui portait sur lui toutes les blessures de la patrie, ne voulait pas les laisser se cicatriser, les rouvrait sans cesse pour en raviver la douleur et demandait à grands cris réparation et revanche. Dieu nous garde de dire que le politicien a définitivement remplacé chez lui le patriote ! Patriote il a été, patriote il restera toujours. Mais enfin il commence à être un patriote comme tant d’autres. La même pensée ne l’obsède pas continuellement. Son esprit en admet de nouvelles, et leur donne, au moins provisoirement, la priorité. Peu à peu, les préoccupations de la politique intérieure ont pris le pas, dans son âme devenue confuse, sur les préoccupations exclusives que lui causait notre diminution dans le monde. Il rêve, — ce qui est vraiment un peu banal, — de nous donner une constitution : nous l’aimions mieux lorsqu’il voulait nous rendre nos provinces perdues. Ge changement est une déchéance pour M. Déroulède. En même temps il marque dans son histoire morale, et peut-être aussi dans la nôtre,