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dans ce nouveau roman, de très précieuses qualités de peintre et de metteur en scène. Son livre manque d’unité et d’ensemble, tout comme le caractère du personnage principal : mais les divers tableaux, pris séparément, ont un éclat et une vérité que nous ne sommes plus guère accoutumés à trouver dans les romans historiques même les plus réussis. Sans être à coup sûr un bon roman, la Résurrection des Dieux dépasse de beaucoup la plupart des romans publiés en Russie depuis vingt-cinq ans. Elle les dépasse en vigueur de pensée et en charme de style. Inégale et souvent encore maladroite, ce n’est déjà plus une œuvre médiocre. Elle permet d’attendre beaucoup du prochain roman de M. Mérejkowski, dont le héros sera le tsar Pierre le Grand : surtout si le jeune auteur se résigne enfin à ne plus faire intervenir, de force, ses théories philosophiques dans la peinture d’événemens et de passions où elles n’ont rien à voir. Car j’oubliais d’ajouter que M. Mérejkowski est, pour le moment, « nietzschéen, » ou plutôt qu’il a imaginé une doctrine à demi nietzschéenne, à demi chrétienne, conciliant dans une sorte de vague symbolisme la thèse du Dieu-homme et celle de l’homme-Dieu.

Mais cette doctrine, si originale qu’elle puisse être, s’accommode mal de nous être présentée sous la forme du roman historique : les meilleurs chapitres de la Résurrection des Dieux sont ceux où l’auteur paraît l’avoir tout à fait oubliée pour se laisser aller, simplement, à son instinct de conteur. Et c’est encore cette doctrine qui risque d’atténuer la portée d’une longue série d’articles que vient de consacrer M. Mérejkowski, dans une Revue de Saint-Pétersbourg, à la personne et à l’œuvre des deux maîtres du roman russe contemporain, Dostoïewski et le comte Tolstoï. Elle y intervient à tout propos et hors de propos, d’autant plus fâcheuse qu’elle se mêle à une analyse critique plus précise, plus sûre, et plus nuancée. Elle nous empêche de poursuivre à loisir l’étude des procédés descriptifs de La Guerre et la Paix ; et, au moment où nous voyons se dresser devant nous la figure vivante de Dostoïewski, force nous est de nous en distraire pour entendre l’éloge du dieu grec Dionysos, ou pour relire quelques paradoxes de Zarathustra. M. Mérejkowski est évidemment tout enivré de son néo-nietzschéisme. Il en imprègne sa critique comme ses romans, pour le plus grand dommage des uns et de l’autre : et, dans l’ardeur de son enthousiasme, il ne semble pas s’aviser que les rêves philosophiques qui emplissent son cerveau non seulement sont étrangers aux sujets qu’il traite, mais se trouvent souvent en contradiction avec eux, comme aussi avec les sentimens naturels et profonds de son cœur.