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d’un pas la question de l’allaitement maternel ; mais il ajoutait à la littérature d’imagination quelques pages d’une émotion pénétrante et d’un vigoureux raccourci : il avait rempli son rôle de romancier. Inversement, songez à ces tableaux qu’on a eu, depuis quelque temps, l’excellente idée de pendre aux murs des écoles pour présenter aux enfans sous forme sensible les ravages de l’alcool ; ces tableaux peuvent être fort utiles, mais ils n’ont aucune prétention à être des œuvres d’art. Les trois actes de la pièce de M. Brieux ne sont pas sans analogie avec ces sortes de tableaux moralisateurs. Ce sont des tableaux animés, où l’art du théâtre est réduit à sa plus simple expression.

Le premier est le mieux venu. C’est un tableau de mœurs campagnardes qui semble pris sur le vif. Nous sommes dans un village dont l’unique industrie consiste dans l’exportation des nourrices. Femmes ou filles, sitôt qu’elles sont en chemin de maternité, elles se font inscrire sur le carnet du « meneur de nourrices, » qui est le personnage important, la véritable puissance de l’endroit, celui auquel on s’adresse pour trouver une bonne place. Dès qu’elles sont engagées à Paris, commence pour le mari ou pour l’amant une vie de cocagne. Le temps de la nourriture représente pour l’homme de longues journées de fainéantise et d’ivrognerie. Cependant, privés du lait que leur mère distribue aux petits Parisiens, les petits campagnards prennent généralement le parti de mourir. Paresse pour l’homme, désastreuses habitudes de confort pour la femme, mortalité pour l’enfant, tel est le bilan de ce genre de « nourritures. » Une brave femme de paysanne refuse de se conformer à l’usage : son beau-père, par avarice, son mari, par complaisance, la forcent à partir. — Cet acte constitue une exposition à peu près excellente. Reste à savoir ce que l’auteur va en tirer. Le fait est qu’il n’en a pas tiré grand’chose, que la pièce est terminée, et que les deux actes qui suivent n’ajoutent guère ni à l’impression déjà reçue, ni à la démonstration de la thèse. Je crains même qu’ils ne l’aient affaiblie.

On nous avait déjà, à la fin du premier tableau, présenté le personnage de la mère. Elle arrivait en costume de bicycliste. La toile tombait sur cette vision sportive. On nous montre maintenant dans son intérieur cette mère trop mondaine, trop occupée à faire des visites et à en recevoir, pour qu’il lui reste le temps d’allaiter son enfant. De jeunes perruches font cercle avec elle et ces dames causent de Nietzsche, qu’elles connaissent mal. Ce que M. Brieux leur reproche, ce n’est pas de mal connaître Nietzsche, mais c’est d’en parler. C’est dans ce cercle que va