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ils mènent un train tout à fait en disproportion avec leur fortune. À ce jeu ils ont tôt fait de se ruiner. Impossible de continuer à vivre à Paris. Mais bien plus impossible encore de renoncer à cette vie de Paris. On se soutient quelque temps par des expédiens. Puis, comme on a besoin d’argent et qu’on en a besoin tout de suite, on s’engage dans des affaires financières. Entendez par là qu’on prête un nom, jusqu’alors honorable, pour servir de paravent à quelque financier louche. Les premières opérations donnent de beaux résultats, l’argent afflue, et il a été si facilement gagné qu’on le dépense plus facilement encore. On s’engage cette fois à fond, et on arrive grand train à l’inévitable fiasco. Ce chemin mène sûrement le mari à la prison, et la femme à se vendre. Drame lugubre, qui court sous beaucoup d’existences parisiennes, et qui éclate enfin par quelque brusque catastrophe. Tournez-le et le retournez en tous sens ; il sera bien impossible qu’il vous apparaisse sous l’aspect de la gaieté. Pressez-le ; vous n’en ferez sortir aucune espèce de drôlerie. Or M. Capus a voulu faire une pièce gaie, uniquement gaie. Il a voulu que tous les personnages, toutes les scènes, toutes les répliques servissent uniquement à nous amuser. Il n’avait pour arriver à ce résultat qu’un moyen : c’était de passer à côté du sujet et d’escamoter la comédie qu’il nous avait promise. C’est à quoi il n’a pas manqué.

Ce qu’il eût fallu ici, semble-t-il, c’eût été nous montrer sans cesse le drame affleurant sous la comédie : c’eût été nous donner la sensation de choses graves faites légèrement. Cette sensation, nous ne l’avons pas un instant : chaque fois qu’il aurait l’occasion de nous la faire éprouver, l’auteur a soin de nous détourner vers un effet ou par un mot de vaudeville. Un galant homme engage sa signature à un financier véreux ; ce fait, qui est de quelque conséquence, passe complètement inaperçu dans la drôlerie d’un tableau consacré à nous montrer un va-et-vient de cocottes, de fêtards et de faiseurs autour d’un bar installé dans les bureaux d’une banque. Le même Jacques Herbaut est mis sous les verrous ; mais comment nous viendrait-il à l’esprit que cela puisse avoir rien de fâcheux ? On ne cherche qu’à nous mettre en joie par des scènes de bouffonnerie encadrées dans le décor d’une prison qui réalise le dernier cri du confort moderne. Pas un mot, pas un trait qui soit pour nous un rappel du drame, et qui nous ramène à la réalité de la situation.

De même il n’y a aucun personnage dont on puisse dire que l’auteur l’ait pris au sérieux, aucun qui n’ait l’air de se moquer de lui en même temps que de nous, et de nous avertir, pour éviter toute