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formellement ; qu’en fait elle n’était qu’une association de bienfaisance et de camaraderie. Puis, revenant à ce que j’avais dit des doctrines de la Franc-Maçonnerie au sujet du travail, source unique de la propriété digne de respect, il fit, sur le travail et sa grandeur, une superbe apostrophe, qui sonnait bien et qui d’ailleurs était parfaitement juste. Seulement elle ne répondait en rien à mon objection, car je n’avais nullement contesté l’obligation du travail, comme loi morale de l’humanité : j’avais parlé de la propriété et de l’hérédité.

Je ne me rappelle pas que d’autres membres de la section aient pris la parole. Je me souviens seulement qu’au moment du vote, il y avait, outre M. Thuillier, conseiller d’Etat en service extraordinaire, quatre membres présens. L’un d’eux était M. Flandin, l’un des membres les plus bienveillans et les plus sympathiques du Conseil, qui, je crois, avait été franc-maçon sous la Restauration, comme M. Boinvilliers et comme beaucoup d’autres avocats de la même époque. M. Bréhier, excellent homme, qui devait sa situation de conseiller d’Etat à son titre d’ancien précepteur du prince Louis-Napoléon, avait entendu mon rapport ; mais il s’était éclipsé pendant le discours de M. Thuillier. Il me dit le lendemain, en aspirant gaiement sa prise de tabac : « Quand j’ai vu que Thuillier le prenait sur ce ton-là, j’ai filé ! »

En définitive, je fus, ainsi que je m’y attendais, seul à voter contre le projet.

D’après les habitudes du Conseil d’Etat, quand le rapporteur est battu en section, il n’en garde pas moins le dossier et il présente le rapport à l’assemblée générale. On s’en remet à sa loyauté pour exposer les motifs qui ont décidé le vote. D’ailleurs, les membres de la majorité sont là pour défendre au besoin leur avis. Dans les affaires administratives ordinaires qui ne soulèvent pas de questions de principes, mais seulement des appréciations de fait, il est rare que le rapporteur fosse même allusion à son opinion personnelle. Toutefois il conserve toujours le droit de la faire connaître, et même celui de chercher à la faire prévaloir malgré l’avis différent de la section.

Le bruit de cette affaire se répandit dans le Conseil d’Etat. La question était assez intéressante par elle-même pour éveiller l’attention ; puis, l’âpreté que M. Thuillier avait apportée à sa discussion, sa violence contre le rapporteur, étaient tout à fait