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forme, mais qui eussent suffi pour arrêter toute autre affaire. Il en comprit le danger et il chercha avec, moi à les résoudre. Il était d’autant mieux en mesure d’y réussir qu’il était profondément versé dans la législation et dans la jurisprudence administratives. Quelques jours après, on m’envoya des statuts plus corrects, du moins en apparence, et diverses pièces qui constituaient une instruction un peu moins sommaire.

Toutefois, pendant que M. Alfred Blanche s’efforçait de compléter ainsi le dossier, l’étude à laquelle je me livrais me faisait apercevoir de plus en plus la gravité du projet. L’affaire m’apparut, non plus comme une question de simple administration, mais comme une question politique au premier chef. J’exprimai nettement le regret qu’on n’en eût pas chargé un membre plus autorisé qu’un maître des requêtes de seconde classe ; et je finis par dire à M. Blanche que, décidément, la mesure proposée me paraissait de nature à créer au gouvernement beaucoup d’ennemis, et que je conclurais contre le projet. M. Blanche fut très ému, se rendant compte que ma conclusion défavorable éveillerait l’attention du Conseil d’Etat et qu’elle pouvait tout compromettre. J’avertis aussi de ma décision mon président, M. Boinvilliers, qui ne me cacha pas son mécontentement. Il eul soin de prévenir M. Thuillier, alors directeur général des affaires départementales et communales, et, à ce titre, conseiller d’Etat en service extraordinaire. M. Thuillier était un ancien avocat d’Amiens, qui, en 1848, avait quitté le barreau pour une préfecture. Désabusé plus tard de la République et devenu l’un des plus ardens serviteurs de l’Empire, il avait conservé l’esprit intolérant et violent de son ancien parti. Il venait rarement au Conseil d’Etat. Malgré le talent réel qu’il y aurait apporté et dont plus tard il fit preuve, il n’y aurait peut-être pas eu toute l’autorité à laquelle il aurait pu s’attendre. Le Conseil d’Etat, quelle que soit son origine, est vite amené, par son rôle d’arbitre entre l’intérêt public et l’intérêt privé, à une sereine impartialité. Il n’hésite pas adonner tort à l’administration, quand il estime qu’elle se trompe. Il redoute l’esprit de parti, et il se défie des politiciens. Sous le second Empire, ce n’étaient pas les plus ardens bonapartistes qui y étaient écoutés avec le plus de faveur. Le Conseil réservait sa confiance pour les hommes qui, moins engagés dans les querelles politiques, estimaient que le meilleur moyen de servir un gouvernement, c’est de le faire aimer, de