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peut exiger. » Ils ne voulaient pas « inventer une action bien construite, mais peindre un état. L’objet de leur poème n’était pas un devenir, mais une manière d’être ; pas le changement, mais la durée. » Or, vous venez de voir qu’il y a une intrigue dans la Terre maternelle, où elle est fort bien conduite, et dans le Millénium. Il y en a une, ou peu s’en faut, dans les Heimathlosen, et très certainement dans les deux dernières pièces de M. Berhardt Hauptmann. En tout cas, ces œuvres ne sont plus la description d’un « état, » mais bien celle d’un « devenir ; » elles nous représentent des changemens tout à fait incontestables dans la manière d’être, ou même dans la destinée des personnages. Et je ne crois pas que personne songe à s’en plaindre. Sur ce point, l’ancienne « dramaturgie » a repris ses droits, probablement parce qu’ils ont leur raison d’être, et c’est à peine si l’on pourrait arguer que l’intrigue est devenue moins romanesque, car celle de la Terre maternelle l’est à un haut degré. En revanche, — peut-être doivent-ils ce progrès à la sincérité de leurs efforts pour renouveler leur art, — les pièces de ces jeunes maîtres serrent de bien plus près la vérité, témoignent d’une observation bien plus exacte, d’un sens de l’humanité bien plus élevé que celles de leurs devanciers. On dirait qu’ils ont ressuscité, en le rapprochant de la vie, un art qui périssait dans des formules arrêtées. Ils l’ont sorti de ces milieux mondains dont la sempiternelle peinture a été l’erreur de tant d’hommes bien doués. Ils sont allés chercher une matière nouvelle dans les provinces, dans les petites villes, dans les villages, où les mœurs conservent plus de couleur et les caractères plus d’individualité. De même qu’en changeant ainsi de milieu, ils rafraîchissaient leur observation, ils ont rafraîchi leur langue, en l’imprégnant de « dialecte. » Leur horizon s’est élargi, leur galerie s’est enrichie, leur dialogue est devenu d’une simplicité, d’une vérité souvent admirables, de n’est pas une révolution, je le répète : c’est un développement. Après avoir rompu bruyamment avec des théories auxquelles ils reprochaient d’être traditionnelles, ces auteurs y reviennent, mais en les corrigeant. Ils étaient entrés dans l’arène en promettant, avec la confiance et la grandiloquence de la jeunesse, qu’ils allaient transformer le théâtre : ils l’ont simplement renouvelé. C’est peut-être suffisant.

Si nous passons de la forme au fond, du moule à la matière, nous pourrons observer un phénomène pareil, qu’on pourrait