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tradition, de paix et de foyer ; mais ils auront celui d’aller mourir ensemble, dans la vieille maison d’Antoinette, de rentrer ensemble dans le sein de la terre maternelle…

Que M. Max Halbe me pardonne si j’ai donné de sa belle pièce une insuffisante impression ! Il n’y a rien de plus difficile que de résumer en quelques pages une œuvre très composée, qui « se tient » dans tous ses détails. Celle-ci, dont je vais chercher à montrer le sens, m’a ému. Je l’ai admirée. Je voudrais que d’autres la connussent.


III

Aux débuts de la Freie Bühne, on put croire que le théâtre allemand entrait dans l’ère des révolutions : les premiers numéros de cette revue, où l’on trouve des noms aujourd’hui célèbres, renferment de nombreux articles de doctrine qui protestent contre l’art officiel et les théâtres de la cour, opposent aux traditions l’indépendance des maîtres nouveaux (Ibsen, Zola, Tolstoï, Nietzsche), affirment les principes de liberté artistique et d’émancipation sociale dont le jeune groupe se réclame. A ce moment-là, M. Max Halbe semblait être, avec M. Gerhardt Hauptmann, l’espoir le plus sûr de la « nouvelle école. » Dix ans ont passé, et ces deux jeunes-maîtres, maintenant en pleine possession de leur talent, sont bien loin de leur point de départ. Leur art s’est développé dans un tout autre sens qu’on ne l’aurait pu croire, et il n’y a rien perdu : car de même que la Terre maternelle est bien au-dessus d’Amour libre, les nouvelles pièces de M. Hauptmann, Florian Geyer malgré son insuccès, le Voiturier Henschell, surtout peut-être ce Michel Kramer qui vient d’être assez mal accueilli et qui cependant est un magnifique portrait d’homme, marquent un progrès continu dans un talent de premier ordre, que des partis pris d’école faillirent un instant dévoyer. Essayons de mesurer sommairement le chemin parcouru :

Dans la contexture même des pièces, d’abord, on chercherait vainement une « révolution. » Jadis, — nous l’avons vu à propos d’Amour libre, — les jeunes auteurs, selon les propres expressions de M. Paul Schlenther[1], rêvaient de porter à la scène « des morceaux de la vie réelle… sans égards pour ce que la scène

  1. Freie Bühne, 9 avril 1890, dans un article sur la Famille Selicke, de MM. Arno Holz et Johannes Schlaf.