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MADAME DREws, se décidant après une brève hésitation. — Je sais que cela ne servira à rien, mais je veux que cela entre dans ta tête, et que tu y penses ! Sur notre fils mort dans son tombeau, je te jure qu’il était bien ton enfant, et que tu étais bien son père ! Je n’ai rien à me reprocher envers toi ! Tout ce que tu as dit contre moi, ce sont des inventions et des mensonges, je le jure sur notre enfant mort !… Voilà !… Maintenant, tu penseras à cela le reste de ta vie !

DREWS, lève la main, après avoir lutté contre lui-même. — Femme, sors de devant mes yeux !

MADAME DREWS. — Ne crains rien ! Tu m’as vue pour la dernière fois dans cette vie ! (Elle s’éloigne lentement et se retourne encore une fois.) Nous nous reverrons là-haut, devant Dieu ! (Elle sort.)

(Profond silence. Drews, au haut de la table, ouvre la Bible. Tous se pressent sans rien dire autour de lui.)

DREWS, d’une voix solennelle. — Apocalypse de Saint Jean, avant-dernier chapitre !…


La pauvre femme n’a pas tardé à exécuter sa menace : elle s’est jetée à la rivière. La cruauté, l’injustice de Drews, la dureté dont il fait preuve pendant les obsèques achèvent d’irriter contre lui ceux qui ont charge d’âmes. Après la cérémonie funéraire, du pasteur, — auquel il a raconté jadis quelle « intervention divine » l’avait seule empêché de se faire justice à lui-même contre son seigneur, — le dénonce devant la communauté. Drews, qu’entourent des cris menaçans, répond en invoquant son Dieu, en Lui rappelant comment il a combattu pour Sa cause, en Lui demandant un miracle ; et la foudre qui gronde s’abat sur sa propre maison.

Au dernier acte, seul, abandonné, il arrive au cabaret où boivent ceux qui l’ont connu. Dieu s’est prononcé contre lui : mais son orgueil dévot s’est retourné pour le soutenir : il pense aux illustres victimes des courroux célestes, il se compare à Job, il se croit au pouvoir de Satan, il boit, demande qu’on le tue, récite des versets de la Passion qu’il s’applique : c’est une sorte de fureur qui finit par le pousser dehors, et l’on apprend bientôt qu’il est allé mourir à l’endroit où sa femme était morte…

Tout cela est inégal et puissant, obscur avec de beaux éclairs, trop incomplet, par momens trop confus pour que l’œuvre atteigne toute l’ampleur qu’elle semblait promettre. On est près d’admirer, puis ou se reprend, on introduit des réserves, on n’a été, en somme, qu’à moitié conquis. Il me tarde d’arriver, — sans m’arrêter à ce beau drame de Jeunesse que l’éclat de son