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Si je commence par signaler cette erreur, ce n’est point pour la reprochera M. Max Halbe, car j’estime qu’on doit juger un auteur d’après ses meilleures œuvres, non d’après les pires : c’est parce qu’en constatant comment et à quel point il s’est trompé, nous trouverons plus facilement sa vraie nature, et les raisons mêmes qui devaient amener son succès dans un autre domaine.

J’imagine que le jeune auteur a une prédilection pour cette pièce, puisqu’il l’a dédiée à « sa chère femme Louise, » et qualifiée de ce titre pompeux de tragédie, qui éveille l’idée d’un grand effort, d’une haute ambition. Or, dès le début, on s’aperçoit qu’elle est « en l’air. » D’habitude, en effet, M. Max Halbe nous renseigne avec minutie sur les costumes, les allures, le physique, l’habitat de ses personnages. Dans la Débâcle (Eisgang), par exemple, il nous décrit un mobilier par le menu, jusqu’à nous dire à peu près ce qui subsiste sur la table encore servie d’un déjeuner frugal. Dans les Heimathlosen, nous pénétrons dans deux ou trois chambres de la pension Beaulieu, dont on nous énumère et décrit tous les meubles : même, une réplique adroite nous avise qu’aux soirées que donne la maîtresse de cette pension, une Française nommée Mme Prunet, on sert tous les rafraîchissemens possibles, sans oublier l’absinthe, — comme l’auteur semble supposer que cela se passe dans le monde parisien. Dans Amour libre, on nous apprend que le héros, Winter, est de taille moyenne, blond, nerveux, qu’il a des yeux gris bleu, au regard aigu, qu’il porte une moustache et qu’il est soigneux de sa personne, tandis que son ami Binder, qui est grand, a le visage marqué de coups de rapière. Et dans Jeunesse, le pasteur Hoppe dégage par toute sa personne « un léger soupçon de dignité ecclésiastique, qui cependant ne dégénère pas en dignité pastorale. » Eh bien ! dans le Conquérant, plus trace de ces précautions. Les renseignemens qu’on nous donne tiennent en deux lignes : la scène se passe dans un château fort, près d’une grande ville maritime, au bord de la Méditerranée, pendant la première époque de la Renaissance. Quant aux personnages, ils ne sont définis que par leur état : Lorenzo, seigneur de Torrani, est « un condottiere, » qu’on nous laisse la facilité de nous figurer sous les traits d’un Borgia, d’un Malatesta ou d’un Castracani : Marianus est « médecin et astrologue, » Sintram est « un pirate, » Rodogine « une bohémienne. » Et l’action se