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dont il était plus près certainement que des ouvriers d’une autre corporation, et souvent même que des compagnons du même métier placés chez un autre maître, à combien plus forte raison des ouvriers d’une autre profession, dans un autre lieu. Au contraire, d’après le statut moderne, par le syndicat, — malgré la tentative timide et médiocrement suivie de syndicats mixtes rapprochant les ouvriers et les patrons, — l’ouvrier ne vit guère qu’avec l’ouvrier, de la même profession d’abord et de la même usine ou de la même mine, sans doute ; mais, en outre, par les unions de syndicats, il peut prendre le contact de tous les ouvriers de sa profession, et de l’ouvrier de toutes les professions, dans le pays tout entier : lequel contact une fois établi, l’ouvrier se considérant partout comme solidaire de l’ouvrier et nulle part comme solidaire du patron, on peut bien dire que sa sociabilité est changée. — Et, par ces trois variations de sa mentalité, de sa moralité et de sa sociabilité, on peut donc dire que s’est accomplie la transformation psychologique de l’ouvrier.

Pour la transformation juridique de l’Etat, on a vu comment elle s’est produite. Premièrement, ce fut la politique commerciale et industrielle qui changea. Auparavant, l’Etat tenait en une tutelle jalouse l’industrie et le commerce, en permettait ou en défendait l’exercice, qu’il réglementait jusqu’aux plus petites choses, les déconsidérait plus qu’il ne les favorisait, gardait sur eux une sorte de domaine éminent, tantôt les subventionnait et tantôt les rançonnait, ou subitement les abandonnait, mais jamais ne les laissait à eux-mêmes, émancipés, intéressés et responsables. Maintenant, au contraire, il leur rendait les rênes, il secouait l’assoupissement où les avaient plongés l’habitude de se sentir surveillés, garantis, attachés de très court, circonscrits de très près dans le profit comme dans la perte, et l’indifférence, qui en était la suite, au succès ou à l’échec ; il les revivifiait par la liberté, les tonifiait par la concurrence, les aiguillonnait par la crainte de l’échec et les éperonnait par l’espoir du succès, que seul il promettait de récompenser.

Deuxièmement, lorsqu’il eut changé de politique envers l’industrie, l’Etat ne tarda point à en changer envers le travail. Auparavant, il traitait le droit de travailler comme un droit régalien, qu’il dispensait ou refusait à son caprice et sous ses conditions ; qui dépendait, ainsi que tant d’autres, ainsi que tous les autres, du bon plaisir du prince ; qui n’appartenait qu’à ceux à qui sa