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s’accommoder du système de l’usine, qui vont chercher et exécuter le travail sur place : c’est ainsi que les charpentiers sont et seront ses derniers fidèles[1].

Au demeurant, dans le régime moderne du Travail, il y eut bien autre chose de changé que le mode de l’embauchage ; le contrat de travail le fut tout entier, car toutes les conditions du travail changeaient. Pour ne retenir que le premier des actes sur lesquels il porte, n’est-il pas évident que l’apprentissage, par exemple, ne pouvait pas être, dans un régime non hiérarchisé qui repose sur la concurrence et le patronat, le même que dans un régime hiérarchisé qui aboutissait au privilège et à la maîtrise ? Ainsi jusqu’à la rupture du contrat : comment eût-elle été, dans un régime ayant la liberté et l’égalité pour principes, la même que dans un régime où il est à peine exagéré de dire que le maître exerçait parfois sur le compagnon qui le quittait avant le jour convenu comme un droit de suite, équivalant encore à un demi-servage, et où c’était un terme courant que celui d’ouvrier « déserteur ? »

Ainsi de tout le reste : tout change. Ce n’est pas pourtant que, lui-même, l’ancien régime du travail n’eût pas connu quelques-unes des difficultés, quelques-uns des problèmes du régime nouveau. Dès l’apparition de la grande industrie, et alors qu’elle n’était encore qu’une exception, on a bataillé pour la réduction de la journée de travail, et, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, elle a diminué ; pour l’augmentation des salaires, et, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, ils ont augmenté[2]. Non seulement les difficultés, mais les maladies du Travail, le XVIIIe siècle les a presque toutes connues : il a vu des chômages, aussi longs ou plus longs que les nôtres, et aggravés singulièrement par des disettes ou d’extrêmes chertés ; il a vu des grèves, issues souvent des mêmes causes que les nôtres, aussi violentes, et plus durement réprimées. Mais ce sont les mêmes choses, et néanmoins ce sont de tout autres choses : car la même chose ne se gouverne pas de la même manière, en un autre temps et un autre milieu.

  1. Voyez Etienne Martin Saint-Léon, Histoire des corporations de métiers, et Germain Martin, les Associations ouvrières au XVIIIe siècle.
  2. Voyez Histoire économique de la propriété, des salaires, des denrées et de tous les prix en général depuis l’an 1200 jusqu’en l’an 1800, par le vicomte G. d’Avenel ; t. III et IV.