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ordre ou dans l’ordre tout à fait voisin, et puis dans des ordres en apparence assez éloignés, par une série grossissante de conséquences ; de telle sorte qu’à ce fait relativement secondaire, la transformation matérielle de la fabrique, se rattache, se relie ce quelque chose, fait de la transformation de toutes choses, qui n’est en bloc ni plus ni moins que la transformation économique et politique du monde.

Car voilà qui n’est pas moins nouveau, moins moderne que l’usine elle-même, par rapporta l’ancienne fabrique : le patron, par rapport au « maître, » l’ouvrier, par rapport au « compagnon » et à « l’artisan ; » ou, comme on dit alors, « l’entrepreneur » et « l’ouvrier mercenaire. » Toutes ces inventions, toutes ces transformations de la fabrique, du moteur, de l’outillage spécial et de l’outillage social intéressent directement ou indirectement la condition de tous ceux qui font travailler et de tous ceux qui travaillent : en un seul mot, du Travail ; et c’est le premier des trois termes du problème devant nous posé. Jusque-là, entre ceux qui travaillent et ceux qui font travailler, on ne peut pas dire qu’il n’y eût pas de séparation : les privilèges de maîtrise en étaient une, et souvent très haute, très épaisse et très dure ; mais la distance était bien moins grande, et les rôles bien moins tranchés. Ceux mêmes qui faisaient travailler travaillaient ; le patron et l’ouvrier se rencontraient et se confondaient en un point intermédiaire, l’artisan, à demi patron, à demi ouvrier, qui tout ensemble était les deux, sans cependant être tout à fait ni l’un ni l’autre : les deux, en sa personne, se composaient et ne s’opposaient pas[1].

  1. De ces artisans, un maître tisseur lyonnais peut être pris pour type : « Sa demeure offre un aspect simple. Au dehors, on voit de grandes fenêtres : leur encadrement seul est en moellon ; les plâtras couvrent les autres parties de la maçonnerie. Les vitres sont rares ; jusqu’en 1750, le verre est cher, et, si l’on est peu à l’aise ou très économe, on le remplace par du papier huilé. Les métiers occupent le premier étage. La femme a des joyaux et du linge pour onze cents livres environ. Elle apporta en dot « quatre métiers propres à ouvrages figurez garnis de leurs ustensiles de service quoyque vieux ; plus, en meubles meublans qui ont aussy servi depuis longtemps, composés de lits avec leurs assortimens, garde-robes de noyer, tables, chaises, quelque peu de cuivrerie et de vaisselle d’étain et autres petits ustanciles de ménage, linges de plusieurs sortes pour le ménage dont partie est usée,… le tout évalué entre les parties, par des amis communs, la somme de deux mille livres. » Un autre maître, également lyonnais, a reçu de sa mère par contrat « la somme de cent cinquante livres en valeur d’un métier de sa profession garni de ses ustanciles et en ustanciles de ménage. » Sa femme lui apporte « deux cents livres en valeur d’une garde robe garnie des habits, linges et nippes servant à son usage et trois cents livres en argent et espèces sonnantes. » Le maître tisse