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de modération et préserver la dignité de son pays, et sa conduite était méconnue et sa déférence inutile. Les manifestations populaires et la presse se prononçaient unanimement contre toute concession imposée par une semblable menace : l’opposition, avec des sarcasmes amers, reprochait au gouvernement d’avoir en vain, et sans éviter un affront, fait dévier la politique de la Grèce et renoncé aux revendications de l’Hellénisme.

Nous envisagions, quant à nous, cette complication soudaine avec plus de sang-froid : justement fiers d’avoir, en réalité, assuré la paix sans appareil militaire et par notre seule parole, d’avoir gagné par la raison ce qu’on voulait devoir à la force, et maintenu les principes d’une diplomatie libérale en refusant d’opprimer un peuple glorieux et faible, nous n’avions pas lieu d’être déconcertés par un événement pénible assurément, mais qui n’atteignait pas le caractère supérieur de notre intervention. Toutefois, en dehors de ces considérations personnelles, nous étions vivement émus, pour la Grèce, de voir compromise, en fait, l’œuvre que nous avions entreprise pour lui venir en aide au milieu d’une crise douloureuse, et d’assister à l’inévitable recrudescence des passions que nous avions amorties. C’est pourquoi, loin de penser que notre rôle fût terminé, nous étions résolus à y persévérer jusqu’au bout et à user de toutes les chances qui subsisteraient encore. En même temps que notre gouvernement s’efforçait de persuader aux autres Cours de se contenter de l’apparition de l’escadre sans en faire la base de leurs exigences, il m’invitait à en atténuer autant que possible l’effet auprès du cabinet hellénique. Je représentai donc de sa part, à M. Delyannis, qu’il ne fallait pas se décourager, que, le fait de sa libre adhésion étant acquis et irrécusable, on ne pouvait l’accuser de subir une pression qu’il avait, notoirement devancée, et qu’en demeurant ferme sur ce terrain, en confirmant ses décisions de la veille, il gardait le mérite de leur spontanéité.

J’exposai avec empressement ces idées au premier ministre, mais, comme il arrive souvent que les réflexions les plus justes se heurtent à un incident dont la rude simplicité les émousse, la présence de l’escadre saisissait plus fortement les esprits que des raisonnemens complexes. M. Delyannis les comprenait très bien assurément, mais il les jugeait impuissans à dominer l’effet d’un acte de contrainte qui serait interprété comme tel par la nation surexcitée. Il soutenait qu’après tout, et quoi que l’on put