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Cet événement, qui pouvait modifier les intentions de l’Angleterre, fut accueilli à Athènes avec beaucoup de joie. M. Gladstone passait pour philhellène, et l’on croyait au moins à sa bienveillance. Sans nous faire d’illusion là-dessus, nous pensions que peut-être serait-il moins contraire à nos vues que ne l’avait été lord Salisbury. Mais ce vague espoir fut promptement dissipé : le nouveau Cabinet confirma sur-le-champ les instructions données précédemment à la légation britannique, et, de plus, M. Gladstone prit soin de faire savoir, par une lettre personnelle au chargé d’affaires de Grèce à Londres, que rien n’était changé ; sur ce point dans les intentions de l’Angleterre, et qu’elle demeurait engagée vis-à-vis des Puissances. Enfin, et « de la part » du premier ministre, lord Rosebery, titulaire du Foreign Office, renouvela auprès de notre ambassadeur les instances de lord Salisbury pour obtenir le concours de nos bâtimens.

Dans ces conditions, il n’y avait plus à parler de conférence, et il semblait que nous n’eussions qu’à continuer la tâche assez ingrate et monotone de représenter aux Grecs la nécessité de ne point lutter davantage ; c’est ce que je fis, en effet, sur les ordres pressans de M. de Freycinet, dans une série d’entretiens avec M. Delyannis, en lui démontrant l’imminence du péril attestent accentué même parle langage du gouvernement anglais. Mais l’altitude du président du Conseil, sans être arrogante, — elle ne le fut jamais un seul instant, — restait entreprenante : les argumens étaient usés, et, si nous n’avions rien de plus à dire, nous perdions le temps en discours stériles.

En ce qui concernait notre propre conduite, nous en arrivions donc à l’instant critique. Nous n’avions à prendre que l’un ou l’autre de ces deux partis : ou nous abstenir désormais d’exhortations vaines, et nous réfugier dans un rôle neutre et inerte qui ne satisfaisait ni les Cours ni nous-mêmes ; ou bien essayer isolément de persuader les Grecs par d’autres moyens que ceux dont on s’était servi jusqu’alors, et prouver ainsi l’efficacité de la politique mesurée et affectueuse que nous n’avions cessé de croire la plus sûre, en un mot tenter une initiative qui pouvait résoudre la question. Le problème se résumait pour nous dans l’alternative d’avouer notre impuissance ou de risquer seuls une entreprise aléatoire sans doute, mais honorable à coup sûr et avantageusement, peut-être. Or, l’effacement ne pouvant convenir à une Puissance de notre rang, nous avions le devoir