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que, chez nous, « ni l’opinion ni le Parlement ne sanctionneraient de pareilles extrémités ; » mais enfin, et malgré notre abstention dès longtemps prévue, on allait agir, et rapidement. Le gouvernement britannique, qui avait envoyé le premier ses cuirassés à la Sude, se montrait particulièrement hostile ; il arriva même que son ministre à Athènes, au commencement de l’année 1886, s’exprima, dans un entretien avec M. Delyannis, en ces termes acerbes et hautains qui présagent une rupture ; le président du Conseil eut la sagesse de n’opposer qu’un froid silence à ce langage impétueux, mais une telle scène démontrait que le Foreign Office n’entendait pas menacer en vain. De son côté, la Porte, protégée si manifestement par l’Europe, tenait le plus fier langage : naguère si indulgente envers les Bulgares, elle stigmatisait « l’inexplicable ambition des Hellènes, » se déclarait prête à « relever leur défi et à détendre son honneur. » Elle faisait même allusion aux « compensations » quelle devrait recevoir pour ses dépenses militaires, et comptait évidemment profiter de l’instant où les Grecs étaient désavoués pour prendre sa revanche de l’annexion de la Thessalie. Elle parlait même d’adresser personnellement à Athènes une sommation qui eût surexcité au plus haut degré le patriotisme du royaume, dominé les dernières hésitations du gouvernement, et provoqué une déclaration de guerre. L’urgence d’une solution quelconque était donc indéniable, et, si l’action des Puissances subissait encore quelques lenteurs, c’est qu’elles n’avaient pas complètement réglé l’ordre et l’étendue de leur intervention, et aussi que diverses difficultés de détail survenues dans les négociations du traité de paix entre les Serbes et le prince Alexandre appelaient sur ce point, pendant plusieurs jours, leur attention et leur activité. Mais ce n’était qu’un léger sursis, et haïr résolution était prise.

Le gouvernement français se trouvait, en conséquence, dans une position très embarrassante. Notre refus de coopérer à des mesures coercitives risquait d’être considéré comme un vain scrupule. Ce désaccord gênait notre politique générale et notre vif désir de maintenir nos relations avec le concert européen. On insinuait même qu’au point de vue des seuls intérêts de la Grèce, c’était lui rendre service que d’user même de violence envers elle en vue de la paix. Ces raisonnemens se présentaient bien à l’esprit de M. de Freycinet, et il en méconnaissait si peu