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l’emporter de haute lutte : elles croyaient ainsi aller plus vile : nous étions convaincus qu’elles prenaient le chemin le plus long.

Néanmoins, et quelles que fussent ses prévisions, la France n’éleva point d’objections, ne voulant pas retarder une démarche approuvée par les autres gouverne mens et encourir le reproche de nuire au succès de leurs efforts. Nous n’entendions exclure que les actes matériels. Ainsi que nous l’avions pensé, cette communication n’amena aucun résultat heureux. Chacun des trois États qui la reçurent subordonna son assentiment à celui des deux autres, ce qui équivalait à une réponse négative. Il n’y avait pas à attacher grande importance aux argumens des Serbes et des Bulgares : ceux-ci étaient satisfaits et ceux-là épuisés, de sorte qu’ils ne songeaient pas sérieusement à reprendre les hostilités : mais l’obstination des Grecs qu’on invitait à une soumission plus difficile parut, non sans cause, beaucoup plus inquiétante, et à tel degré que l’Angleterre, renonçant aux simples représentations diplomatiques, proposa de prendre envers eux une mesure tout à fait extraordinaire. La majorité des Puissances se montra favorable à ce projet et résolut de substituer aux paroles une ingérence réelle, et de déclarer au gouvernement hellène que la guerre maritime lui serait interdite.

Il faut bien reconnaître que celle décision était à la fois insuffisante en fait et inadmissible en droit. En fait, elle devait exaspérer la Grèce et non pas la réduire ; et si l’on voulait recourir à des moyens arbitraires, il eût mieux valu tout de suite, au lieu de ne s’engager qu’à demi, opposer un veto absolu à toute espèce d’agression, soit sur nier, soif sur terre. La violence eût été la même et le procédé plus franc. En droit, comment justifier un acte aussi partial ? On attentait ouvertement à l’indépendance des Grecs en leur enlevant la libre disposition de leurs forces, en les empêchant de contre-balancer dans l’Archipel les chances fort incertaines de la campagne sur le continent. Les cuirassés ottomans, assez mal équipés et commandés, immobiles depuis de longues années dans le Bosphore, n’effrayaient pas les marins hellènes, et, sans remonter aux souvenirs de Salamine, on évoquait couramment à Athènes les exploits de Canaris et les perspectives d’incidens heureux provoqués par une diversion navale. En privant la Grèce de son escadre, on la plaçait dans l’état d’un lutteur à qui l’on commence par lier l’un de ses bras. Ces considérations n’échappaient pas assurément à la perspicacité des