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Alexandre, qui, par la prise de Pirot, s’était ouvert la route de Nisch et se flattait d’atteindre promptement Belgrade, n’entendait pas, au contraire, interrompre le cours de ses succès : mais un fait inattendu changea soudain l’aspect des choses. Le Cabinet de Vienne, qui regarde avec raison la Serbie corn me un élément essentiel de sa politique danubienne, ne pouvait souffrir que ce royaume fût trop profondément atteint par ses revers. Déjà, en 1876, il avait arrêté l’année ottomane victorieuse et menaçant Belgrade ; il agit cette fois de même, non moins promptement, et fit savoir au vainqueur en termes exprès que s’il continuait d’avancer sur le territoire serbe, « il se trouverait en présence de l’armée austro-hongroise. » Le prince ne pouvait résister à un argument aussi catégorique : il s’inclina, avec colère sans doute, mais, devant un tel ordre, il dut accueillir l’armistice. Le 30 novembre, c’est-à-dire quinze jours après l’ouverture des hostilités, elles furent définitivement suspendues.


IV

Tout semblait simplifié ; bien que la discussion sur les conditions de l’armistice fût assez confuse, en fait on n’avait plus à se préoccuper de l’incident belliqueux qui avait surtout ému les Cours. Mais les événemens les amenaient à ce moment particulièrement délicat où il faut, pour conclure une affaire, renoncer aux vagues pourparlers et prendre des décisions pratiques. Or, à ce point de vue, la question subsistait non moins complexe qu’auparavant. La victoire des Bulgares écartait en effet tout péril du côté de Belgrade, mais elle diminuait la liberté d’action à l’égard du prince Alexandre ; on avait perdu la ressource du maintien du statu quo, car il devenait désormais impossible de lui refuser tout le bénéfice de son succès et de contraindre les Rouméliotes à rentrer sous la domination ottomane. On voyait bien qu’il faudrait s’éloigner du traité de Berlin, mais comment et dans quelle mesure ? Une concession trop accentuée au principe des nationalités risquait de pousser à bout la Turquie, dont l’intervention armée eût singulièrement compliqué le problème. De plus, en suivant celle voie, on autorisait en quelque sorte la Grèce à présenter des revendications fondées sur la même théorie, qu’il était difficile de reconnaître à Sofia et de désavouera Athènes ; dans cette hypothèse, on devait s’attendre