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Monténégro obtenait l’accès à la mer ; la Serbie, constituée en royaume s’agrandissait sensiblement au Sud. La Turquie rentrait en possession de la Macédoine. La Grèce, renonçant à l’Epire qui lui avait été préalablement promise, s’annexait la Thessalie. L’Europe croyait avoir ainsi fait à tous leur part, soustrait les Bulgares à l’action exclusive de la Russie, réservé autant que possible les droits du sultan, et contenté les principales ambitions des populations chrétiennes (1878-1881).

Ce fut donc avec une très vive émotion qu’on apprit tout à coup, en septembre 1885, qu’un coup de main révolutionnaire s’était produit en Roumélie orientale. Le 17 de ce mois, à Philippopoli, chef-lieu de cette province, une troupe séditieuse, à la fois civile et militaire, avait expulsé, le vali chrétien et ottoman. Gavril Pacha, constitué un gouvernement provisoire, et proclamé l’union avec la principauté bulgare ; la population avait adhéré au mouvement. Tout s’était d’ailleurs passé sans lutte, la Porte n’ayant point de troupes dans la province. Évidemment, cette insurrection était concertée avec le prince Alexandre de Bulgarie, car celui-ci avait immédiatement accepté ; le fait accompli, pris possession du pouvoir à Philippopoli trois jours après, et télégraphié aussitôt aux grandes Cours pour les en aviser il ajoutait, il est vrai, qu’il reconnaissait la suzeraineté du sultan, mais convoquait le Sobranié pour ratifier les événemens. Cette assemblée, réunie d’urgence, approuvait la conduite du prince ; les paysans bulgares entraient en Roumélie et fraternisaient avec les habitans. L’Europe et la Porte étaient placées ainsi en face d’une révolution achevée, soutenue à la fois par les groupes populaires de Roumélie et par les troupes de la Principauté. Le traité de Berlin et les conventions annexes étaient ouvertement violés : il s’agissait de savoir quelle serait l’attitude des Cours signataires, de la Turquie souveraine en Roumélie, de la Serbie et de la Grèce, États voisins et directement intéressés dans la question.

Au premier abord, il ne semblait pas qu’il pût y avoir le moindre doute : on croyait que les Puissances réagiraient contre la violation du traité de Berlin et contre la reconstitution de la grande Bulgarie qu’elles avaient expressément voulu détruire ; on s’attendait, en revanche, à voir la Russie sympathique au mouvement qui restaurait l’œuvre de San-Stefano. On espérait que la Serbie et la Grèce attendraient prudemment les décisions