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remettre à l’ouvrage aussitôt qu’elle voudra ou pourra leur en donner. Les jaunes faisaient autrefois cause commune avec les rouges ; ils s’en sont séparés sans attendre la grève actuelle, trouvant trop lourd le joug qui s’appesantissait sur eux. La tyrannie syndicale doit naturellement amener des scissions et des émancipations. Les journaux socialistes déclarent que les jaunes sont de faux frères, des renégats et des traîtres ; les jaunes disent qu’ils sont simplement des pères de famille désireux de gagner leur vie. C’est la première fois qu’on assiste à ce partage des ouvriers et à ce dédoublement du syndicat ; le phénomène est très caractéristique en lui-même ; probablement l’exemple en sera imité, et il ne peut l’être qu’avec profit pour l’indépendance des ouvriers. Dominés jusqu’ici par un syndicat unique, ils se sont créé un refuge contre un despotisme devenu intolérable. Les choses, toutefois, n’ont pas dans la pratique un caractère aussi tranché qu’on pourrait le croire, et un certain nombre d’ouvriers font partie de l’un et de l’autre syndicat, soit qu’ils hésitent entre les deux, soit qu’ils jugent prudent de se ménager des ententes de part et d’autre. Lorsqu’on fait le total des ouvriers du syndicat rouge et de ceux du syndicat jaune, on s’aperçoit qu’il est supérieur à celui de tous les travailleurs de Montceau : cela vient précisément de ce qu’il en est qui s’inscrivent dans les deux camps, de même que, dans les assemblées parlementaires, des membres s’inscrivent quelquefois dans des groupes différens, ou même opposés. Et c’est probablement le même esprit qui les détermine, les uns et les autres.

Actuellement, ni les rouges, ni les jaunes ne manquent de ressources. Les premiers en avaient déjà, nous l’avons dit ; les autres ont adressé un appel à leurs compatriotes, au nom de la liberté du travail qu’ils représentent, et les listes de souscriptions se sont bientôt couvertes de signatures. C’est là encore un fait sans précédent. Jusqu’ici les grévistes seuls avaient demandé des secours et en avaient reçu. Les autres, les ouvriers qui auraient voulu travailler, avaient fini par se soumettre à la grève, parce qu’ils n’avaient pas encore trouvé le moyen de faire autrement. A tous ces points de vue, la situation de Montceau-les-Mines est originale et instructive ; l’avenir y trouvera certainement des leçons. En attendant, le syndicat jaune a organisé dans toute la ville, et même au dehors dans la campagne, des soupes populaires où l’on donne à chaque gréviste et aux siens la nourriture qui leur est nécessaire. Ces distributions se sont faites les premiers jours avec beaucoup d’animation et de gaîté : mais cet air de fête durera-t-il longtemps ?