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clairement la consommation des temps héroïques et des aventures, le désarmement final dans le repos des vieux jours.

« Vous avez très bien fait de vous défendre contre un gouvernement oppresseur. » — Ce furent les premières paroles adressées par le Consul au partisan, dans leur dramatique entrevue. — Je ne sais si le lecteur ratifiera cette opinion de Bonaparte, ni s’il donnera raison aux nombreux articles de la Déclaration des Droits qui justifiaient les Vendéens dans leur résistance à l’oppression. Avant de prendre parti, qu’il examine comme je viens de le faire ces deux livres, qu’il compare ; ces deux figures typiques, Fouché, d’Andigné. Il verra en raccourci la vie du duc d’Otrante et de ses pareils, entrant dans la Révolution comme dans une carrière lucrative, l’arrêtant quand ils en ont tiré « tous les avantages personnels qu’on en pouvait prétendre, » comblés de biens et d’honneurs selon le monde, les pieds dans le sang innocent, la tête courbée devant tous les maîtres qui paient, pendant qu’ils paient, jusqu’à l’heure des trahisons opportunes — Il verra en regard le général vendéen et ses frères d’armes, fermes dans leur foi, toujours prêts à renouveler sans illusion leurs sacrifices à une cause perdue, appauvris par leur dévoûment, négligés par leurs princes, froidement reçus à la Restauration dans ces Tuileries où ils gênent, où le duc d’Otrante tient le haut bout de la table. — Bref, le lecteur verra un lot de sordides coquins et une troupe de très braves gens.

Nous vivons, dit-on, en un temps où toutes les doctrines reçues font banqueroute dans le doute universel : les mots n’ont plus guère d’empire, les raisonnemens théoriques ne décident plus de nos opinions. Dans ce grand désarroi, beaucoup d’esprits distingués en arrivent à juger comme les simples ; et ils mettent le bon droit du côté où ils voient le plus de braves gens. Si l’on adoptait ce critère historique, le choix serait aisé entre les d’And igné et les Fouché ; entre les hommes de principe dont les mâles vertus avaient fait cette France qu’ils voulaient maintenir, et les hommes de proie qui nous l’ont laissée défaite, débile, toujours exposée à l’une de ces deux calamités, la protection tyrannique de César, la menace navrante de l’étranger.


EUGENE-MELCHIOR DE VOGUE.