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vivrons dans les chaumières. — Je brûlerai vos chaumières. — Nous nous retirerons dans les bois… » Il faudrait citer tout ce dialogue, où chaque parole du Consul est admirable de justesse, chaque réplique du chouan noble et forte. L’homme de la tradition n’y fait pas figure d’inférieur devant l’homme du destin. Mais de quelque façon qu’on les juge, un sentiment invincible s’impose au lecteur : il n’y a plus à cette heure sur l’horizon de la France que ces deux forces sensibles, le principe et le génie ; misère négligeable, tout le reste, tout ce qui fait en dessous tapage et illusion, tout ce qui flotte sans boussole entre ces deux pôles, avec Fouché et consorts. — Pages révélatrices, égales par leur puissance d’évocation au sublime entretien d’Egmont et du duc d’Albe dans le drame de Goethe ; la simple réalité ne le cède pas ici à l’imagination méditative du poète qui a le mieux vu dans le cœur des hommes d’Etat.

Les préférences du grand public iront sans doute aux pages suivantes, au récit captivant des évasions. Je n’entreprends pas de résumer ce roman fantastique et véritable. Les combinaisons patientes du prisonnier, les péripéties et la réussite de ses plans audacieux en font tout l’intérêt. Qu’un être humain pût s’envoler de ces nids d’aigles, le fort de Joux, le château de Besançon, cela n’entrait pas dans l’esprit de ses geôliers. Muni d’un ressort de montre pour seul outil, il scie durant de longs mois les triples rangées de barreaux, descelle les pierres, tombe et passe invisible au milieu de la garde renforcée, dégringole dans les ténèbres sur les parois de roches à pic, route au fond des précipices, échappe aux poursuites à demi broyé. Il va se rétablir dans les cachettes amies, erre sous de faux noms, reparaît : on le reprend, il réchappe, jusqu’au jour où la police lassée le laisse fuir à l’étranger et respire enfin, plus soulagée que lui. Rentré en France avec son roi, d’Andigné rassemble encore ses chouans aux Cent Jours. Heureux instant de sa vie, celui où il fit fusionner chouans et patriotes, en 1815, pour tomber ensemble sur les Prussiens du corps d’occupation qui le prenaient de trop haut. Instant mélancolique, celui où il se rendit sans espoir à l’appel de la Duchesse de Berry, en 1832 : coffré au château d’Angers par la gendarmerie de Louis-Philippe, il y retrouvait ses habitudes, une illusion de jeunesse ; libéré aussitôt, il dut sortir d’une prison par la porte, tout bourgeoisement, pour la première fois ! Déchéance humiliante, qui signifiait