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de Jersey, passa de nuit sous le feu des canonnières républicaines, gagna la falaise bretonne. Adresse, endurance, courage et chance, il montre déjà dans ce débarquement périlleux les qualités qui allaient faire de sa vie toujours risquée un prodige perpétuel. C’était en 1795. La grande guerre de Vendée venait de finir. Restait la chouannerie : d’Andigné l’organisa avec Scépeaux sur la rive droite de la Loire, donnant la main à d’Antichamp et à Suzannet sur la rive gauche. Arrêtée par la paix de la Mabilais, elle reprit après les événemens du 1er  prairial. Le chef angevin était allé pratiquer des intelligences à Paris : il assista à cette journée, la confiance et le désir de l’action lui revinrent au spectacle qu’il décrit : « La Convention était divisée en plusieurs partis, cherchant tous à se fortifier aux dépens les uns des autres ; ils vivaient au jour le jour, sans plan, sans que personne parmi eux fut capable d’en former un, et encore moins de le suivre ; leurs passions, leurs intérêts, les occupaient uniquement. La France gémissait sous le gouvernement le plus méprisable ; et pas un de ces soi-disant représentais ne paraissait y songer. » — Ayant vu ces choses, d’Andigné rappela autour de lui les gars du Bocage : ils tinrent la campagne jusqu’aux conférences de Pouancé, jusqu’à la pacification définitive de 1800. Le général se prononça cette fois pour raccommodement : sensé autant que brave, il comprit que la partie n’était plus jouable après la détente qui suivit le 18 brumaire. Comme le tableau que nous lui empruntions ci-dessus, la constatation qu’il fait alors d’un apaisement instantané est un document à recommander aux historiens. Mais un chapitre de ce livre fixera entre tous leur attention, celui où le partisan rapporte son entretien avec le Premier Consul. Ses compagnons Lavaient délégué auprès du gouvernement nouveau : Hyde de Neuville l’introduisit chez Talleyrand, qui les mena au Luxembourg.

Nous avions déjà dans les Mémoires de Hyde de Neuville un résumé du mémorable colloque. J’en ai touché ici quelques mots[1]. Mais Hyde était un agent d’intrigues politiques, un esprit plus léger, mieux averti des choses parisiennes. D’Andigné apportait au Luxembourg l’âme intacte d’un terrien de Vendée, d’un croyant cuirassé dans sa foi, ignorant des contingences. C’est sa déposition qu’il faut lire pour y admirer la grandeur et

  1. Voyez le Roman d’un Conspirateur, dans la Revue du 15 août 1892.